Où en est-on dans la course au vaccin contre le SARS-CoV-2? Entre la Commission européenne qui a mis au point une stratégie pour assurer l'approvisionnement de ses Etats membres, la création du Comité belge d'experts pour conseiller les vaccins à acheter et la déclaration de Vladimir Poutine affirmant que le vaccin russe est sûr et efficace, les choses s'accélèrent.
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"Pour le vaccin russe Sputnik V, il s'agit d'un réflexe de communication et de politique de Vladimir Poutine qui a remis la Russie sur le devant de la scène des vaccins. Mais il est intéressant de constater que la course au vaccin s'accélère", décrypte le Pr Jean-Michel Dogné, directeur du département de Pharmacie de l'université de Namur et expert à l'AFMPS, l'EMA et l'OMS. Il rappelle ainsi qu'en Europe, début juin, la Commission a repris le flambeau pour proposer aux États membres une stratégie pour soutenir financièrement les firmes en échange du droit d'acheter un nombre défini de doses de vaccin, dans un délai donné et à un prix donné. "Une partie des coûts initiaux supportés par les producteurs de vaccins seront financés grâce à ce système d'aide d'urgence (2,7 milliardsd'euros). En contrepartie, ces sociétés devront réduire leurs prix puisqu'elles auront reçu une avance financière de la part de l'Europe".Stratégie win-win"Une action conjointe au niveau de l'Union européenne est le moyen le plus sûr, le plus rapide est le plus efficient pour mettre au point et produire un nombre suffisant de vaccins. Une stratégie commune permet de mieux se couvrir, de partager les risques et de regrouper les investissements afin d'en accroître la portée et la rapidité et de réaliser des économies d'échelle", a expliqué la Commission européenne."Il s'agit d'une procédure de passation de marché centralisée, ce qui représente des avantages à la fois pour les pays et pour les producteurs de vaccins dont le processus de négociation est considérablement simplifié, avec un point de contact unique, ce qui réduit les coûts pour tous. Centraliser l'achat de vaccins au niveau de l'Union européenne a le mérite d'être plus rapide et plus efficient que 27 procédures distinctes". L'autre objectif visé est d'éviter la concurrence entre les États membres comme on l'a connue au mois de mars pour les masques. Enfin, signalons que malgré cette approche commune, chaque État membre reste maître de sa politique de vaccination. "Si la Commission européenne conclut un contrat avec un développeur de vaccins, elle demande ensuite aux États membres s'ils souhaitent participer à l'offre d'achat et ils peuvent ajouter un financement en plus de celui proposé par l'Europe. En Belgique, un Comité d'experts vient d'être créé à l'AFMPS, il réunit des représentants des différents secteurs (AFMPS, SPF Santé, Communautés) pour conseiller le gouvernement sur les vaccins à acheter", précise le Pr Dogné. Réuni pour la première fois le 18 aoüt, il planche sur le dossier du vaccin d'AstraZeneca/Université d'Oxford.Choix multiple Pour le Pr Dogné, les États devront choisir plusieurs vaccins: "Cela n'aurait pas de sens de n'en choisir qu'un seul et ceci pour plusieurs raisons: limiter les risques d'approvisionnement (problème de production...), balance bénéfice/risque, politiques (choix d'un vaccin en collaboration avec la Belgique comme celui d'Astra Zeneca éventuellement produit dans notre pays)... Un des critères qui me paraît essentiel c'est la mise en disponibilité rapide d'un vaccin efficace et sûr. Actuellement, 29 vaccins sont en étude clinique et environ 180 en développement, le choix risque donc d'être plus diversifié".Parmi les 29 vaccins en étude clinique, 6 sont en phase 3 (celui de l'Université d'Oxford/AstraZeneca est le plus avancé, à côté du Moderna, de celui de Pfizer et de ceux développés par des instituts chinois), une dizaine sont en phase 2 et une dizaine en phase 1."Aujourd'hui, la Commission européenne discute avec 10 développeurs de vaccins qui ont un potentiel intéressant, en phase 3, 2 et un petit peu en phase 1. AstraZeneca a par exemple déjà déposé une prédemande auprès de l'Agence européenne des médicaments de soumission du dossier de son vaccin. Ils espèrent terminer la phase 3 avec des données intermédiaires fin octobre-début novembre et des données finales fin novembre, pour mettre leur vaccin sur le marché fin de l'année-début janvier". "Par rapport au MERS et SRAS, nous sommes aujourd'hui dans une situation tout à fait différente parce que 180 firmes développent des vaccins sur des plateformes différentes. En 20 ans, le développement des vaccins a connu un bond extraordinaire grâce aux plateformes qui permettent une production d'anticorps un peu plus efficace. Mais, personne ne peut dire, au-delà de la phase clinique qui dure 40 jours, si on a une immunogénicité qui va perdurer pendant deux ans, ni quelle est la réponse immunitaire chez des individus séropositifs", nuance-t-il.Les coronavirus sont connus pour ne pas générer de réponse immunitaire maintenue dans le temps. "Mais ce n'est pas très grave, ajoute-t-il. Par exemple, on vaccine chaque année contre la grippe parce que la réponse immunitaire n'est pas maintenue dans le temps et parce que les souches changent. Avoir un vaccin qui nécessiterait d'être revacciné par exemple chaque année ne posera donc aucun problème. S'il est efficace sur une période suffisamment importante cela permettrait déjà de garantir une prévention de la maladie et des conséquences socio-économiques".Roulette russeQuant à la déclaration de Vladimir Poutine qui dit que le vaccin russe Sputnik V est sûr et efficace, qu'il donne une immunité qui perdure, c'est de la communication, estime Jean-Michel Dogné: "C'est bien joué parce que cela remet la Russie au premier plan dans cette course, mais c'est malhonnête. Ce qu'on sait c'est que ce vaccin ne peut pas être efficace cliniquement puisqu'il a uniquement été testé en phase 1 chez des individus qui n'ont pas été mis en contact avec le virus: il démontre donc juste qu'il produit des anticorps. Et ces données n'ont pas été publiées. Ensuite, il a été testé chez moins de 40 individus, donc on ne connaît rien des effets indésirables. Enfin, il a été testé sur des périodes inférieures à deux mois: personne ne peut prédire si l'immunogénicité sera maintenue. Il y a une grande différence entre ce qu'il dit et la réalité des faits. Personne ne vaccinerait une partie de la population sur ces seules données". "Ce qu'il dit n'est donc pas exact. En revanche, il n'a peut-être pas tort sur le fond, sur le choix du vaccin qui sera peut-être tout aussi efficace en phase 3 que le vaccin d'Oxford: c'est bien possible, mais c'est un coup de poker!"