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Le 24 février dernier, Santé Canada a approuvé le vaccin Covifenz® pour l'immunisation des 18 à 64 ans contre le Covid‑19. Produit par Medicago, une entreprise biopharmaceutique canadienne pionnière de la production de produits thérapeutiques sur plantes, le Covifenz® est un vaccin à base de particules pseudo-virales de Coronavirus (PPVCo, glycoprotéine S recombinante exprimée sous forme de PPV extraites de plantes). "Le régime de vaccination prévoit deux doses administrées par voie intramusculaire à 21 jours d'intervalle (3,75 microgrammes d'antigène PPVCo en association avec l'adjuvant pandémique de GSK fourni dans la même injection). Le vaccin est conservé entre 2°C et 8°C", précise Medicago. L'agriculture moléculaire, ou moléculture végétale, désigne la culture de plantes génétiquement modifiées pour produire des biomolécules utiles à des fins industrielles ou pharmaceutiques. Cette nouvelle méthode de développement de médicaments fait l'objet d'un article détaillé dans la dernière édition du Pharmaceutical Journal (PJ 2022;308,n°7959). Cellules végétales ou plantes entières"À l'origine, l'un des grands attraits était l'idée que l'on pouvait faire les choses à peu de frais et à grande échelle, en utilisant certaines des méthodes et des réseaux de distribution utilisés en agriculture, explique George Lomonossoff, virologue au John Innes Centre, un centre indépendant de recherche et de formation en sciences végétales et microbiennes, au Royaume-Uni. Cependant, ce n'est que maintenant que cette technique, connue sous le nom 'd'agriculture moléculaire', commence vraiment à prendre son essor"."Le premier médicament sur le marché à être produit dans des cellules végétales, l'Elelyso (taliglucerase alfa), a été approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis en 2012. Développé par la société israélienne de biotechnologie Protalix et Pfizer, il s'agit d'un traitement de la maladie de Gaucher", indique Rachel Brazil, l'auteure de l'article du Pharmaceutical Journal. Généralement produites à partir de la bactérie Escherichia coli ou de levures, comme Saccharomyces cerevisiae, ou encore de cellules ovariennes de hamster chinois, les protéines thérapeutiques nécessitent des bioréacteurs en acier inoxydable coûteux et des conditions stériles et hautement contrôlées. En outre, les protéines ainsi produites varient en qualité. "Tous ces facteurs ont suscité un intérêt croissant pour les alternatives végétales et la découverte que les plantes pourraient constituer un moyen moins coûteux et plus efficace de produire des médicaments biologiques, et donc un produit potentiellement supérieur".Les méthodes de production de produits biopharmaceutiques dans les plantes utilisent soit des cultures de cellules végétales (par exemple de carotte), soit des plantes entières (agro-infusion où la protéine d'intérêt est infusée dans les feuilles de la plante).Le spectre des OGM"Les premières ambitions de culture en gros de médicaments ne se sont pas concrétisées, principalement en raison de la nécessité de conserver ces plantes dans des environnements confinés pour éviter toute contamination extérieure, explique George Lomonossoff. Mais il y a toujours un espoir de pouvoir cultiver à grande échelle en utilisant des serres". "L'un des problèmes de la culture de cellules de mammifères est le risque de contamination par des virus. Avec le matériel végétal, le problème est beaucoup moins important, dans la mesure où toute maladie que pourrait contracter une plante n'infecterait pas l'homme - il n'y a aucun exemple de croisement", ajoute-t-il."Bien que la promesse initiale de réduire les coûts de production n'ait pas été tenue jusqu'à présent, la méthode elle-même s'est avérée rapide. En 2012, Medicago a fabriqué 10 millions de doses d'un candidat vaccin contre la grippe en l'espace d'un mois, et a fait preuve de la même rapidité dans le développement de son vaccin Covid-19", souligne Rachel Brazil.Les chercheurs et les entreprises qui travaillent avec des plantes entières se sont tournés vers Nicotiana benthamiana, une plante australienne, parente du tabac. "Son grand attrait est qu'elle possède un système de silençage défectueux... elle n'essaie pas de contrecarrer les niveaux d'expression, ce que beaucoup de plantes ont naturellement tendance à faire.Cela signifie que, lorsqu'elle est infectée par une bactérie, N. benthamiana n'a pas la capacité de se défendre et d'empêcher la bactérie de détourner son mécanisme de production de protéines. Par conséquent, les rendements de la protéine d'intérêt seront particulièrement élevés", indique Lomonossoff.En outre, N. benthamiana est facile et rapide à cultiver et il ne s'agit pas d'une culture alimentaire, ce qui est important, notamment en Europe, où l'on craint que des OGM n'atteignent la chaîne alimentaire et où il existe des restrictions légales contre leur culture.L'agriculture moléculaire peut aussi se faire dans un bioréacteur à mousse (Physcomitrella patens). La société de biotechnologie, Eleva,termine un essai clinique de phase I pour son premier candidat médicament, moss-aGal (agalsidase), destiné à traiter la déficience en a-galactosidase à l'origine de la maladie de Fabry. "Cependant, l'un des problèmes auxquels sont confrontées toutes les méthodes basées sur les plantes réside dans les différences entre les schémas de glycosylation des cellules végétales et animales, note Rachel Brazil. De nombreux médicaments biologiques sont des glycoprotéines, ce qui signifie que les protéines sont recouvertes de chaînes d'oligosaccharides (glycanes). Cet enrobage de sucre en surface est souvent important pour la conformation 3D de la protéine et, dans le cas des protéines membranaires, il joue un rôle dans le contrôle de la façon dont les cellules interagissent avec d'autres cellules et molécules. En bref, toute différence dans les schémas de glycosylation peut affecter l'efficacité d'un médicament biologique". Pour remédier à ce problème, on modifie génétiquement la mousse ou les plantes pour "humaniser" le processus de glycosylation.Voie d'avenir?Outre les avantages de prix et d'efficacité, le produit végétal est parfois supérieur à la production dans des cellules bactériennes, virales ou autres. Enfin, c'est une alternative potentiellement intéressante pour les pays en développement, où l'accès aux vaccins ou aux anticorps coûteux est limité.Plusieurs pays se sont déjà lancés dans la production pharmaceutique à base de plantes: par exemple pour développer un biosimilaire végétal du pembrolizumab (AC monoclonal, anticancéreux), un AC destiné à neutraliser le VIH (à partir de N.benthamania), un vaccin oral contre le choléra produit à partir de riz (MucoRIce-CTB)... Par ailleurs, en plus de son vaccin Covid-19, Medicago a terminé les essais cliniques de phase II pour un vaccin contre la grippe pandémique et les essais de phase I pour des vaccins contre le rotavirus et le norovirus."Jusqu'à présent, les grandes entreprises pharmaceutiques ont été relativement lentes à manifester leur intérêt pour la technologie végétale, car elles ont beaucoup investi dans les méthodes de production actuelles", fait observer Rachel Brazil. Certains estiment néanmoins, qu'à long terme, les plantes joueront un rôle de plus en plus important dans la façon de fabriquer les produits biopharmaceutiques.