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Les cellules tumorales assurent leurs besoins énergétiques grâce au glucose mais depuis quelques années, des travaux ont montré qu'elles modulent leurs sources en nutriments en fonction des conditions environnementales. A l'UCLouvain, le Pr Olivier Feron et son équipe de l'Institut de recherche expérimentale et clinique (Irec) planchent sur le sujet depuis longtemps. L'intérieur d'une cellule d'une tumeur solide est 10 fois plus acide que n'importe quel tissu sain et ces chercheurs ont notamment prouvé que cette acidose se traduit par une réduction de l'utilisation du glucose par les tumeurs (Cancer Res 2014;74:5507-19) et que les acides gras (AG) prélevés à l'extérieur de la cellule fournissent l'énergie nécessaire à la croissance tumorale. (Cell Metabolism 2016;24(2):311-23)L'année dernière, cette équipe a démontré que l'on peut prévenir les métastases en agissant sur le métabolisme et le stockage des lipides par les cellules tumorales. (Nature Communications, 23 janvier 2020) Aujourd'hui, une nouvelle découverte réunit ces travaux préalables. Olivier Feron attire l'attention sur le caractère exceptionnel de cette étude, fruit d'une collaboration entre deux laboratoires de l'UCLouvain: le sien à l'Irec et celui du Pr Yvan Larondelle, situés respectivement à Bruxelles et à Louvain-la-Neuve. (Cell Metaboslim, 11 juin 2021)Cheval de Troie"D'un point de vue thérapeutique, il paraissait logique d'essayer d'inhiber la consommation de lipides par les cellules tumorales pour bloquer le processus métastatique. Cependant, poursuit-il, d'autres tissus comme le coeur sont très dépendants des AG, intervenir sur cette consommation présente donc un risque d'effets secondaires notamment cardiaques. Voilà pourquoi nous nous sommes tournés vers une autre stratégie: introduire des lipides toxiques dans ces cellules tumorales. Comme si, à leur insu, on les empoisonnait en tirant profit de leur dépendance aux lipides: si les AG qu'elles captent sont toxiques, c'est une façon d'y introduire un cheval de Troie et de les détruire". A quel type de lipide toxique faire appel? C'est à cette question que s'est attelée Émeline Dierge, doctorante en bioingénierie et pharmacologie. Elle a évalué sur des cultures de tumeurs humaines en 3 dimensions (3D sphéroïdes), le comportement des cellules tumorales en présence de différents AG: saturés, monoinsaturés et polyinsaturés omega-6 et omega-3. "Les AG saturés et monoinsaturés n'ont pas d'effets toxiques sur les 3D sphéroïdes. Heureusement, nous avons trouvé que les AG polyinsaturés, surtout ceux à longue chaîne comme l'omega-3 DHA (acide docosahexaénoïque), induisent une toxicité et tuent les cellules cancéreuses dans les régions acides. Pour confirmer nos résultats, nous avons travaillé sur des souris en enrichissant leurs croquettes avec différentes huiles, soit de l'huile d'olive riche en AG monoinsaturés, soit une huile de poisson riche en DHA". Résultat? Chez les souris du groupe 'huile d'olive', les tumeurs sont plus grosses et grandissent plus vite que dans le groupe 'huile de poisson'. "Nous avons découvert que les cellules cancéreuses qui sont dans des compartiments acides et qui sont friandes d'AG, vont capturer ce DHA qui va se révéler être toxique pour elles. Ces cellules cancéreuses souffrent de ferroptose, une mort cellulaire liée à une augmentation de l'oxydation de cet AG", précise la chercheuse.Aliments enrichis"Tous les AG oméga-3 ne font pas ce travail avec autant d'efficacité, met en garde Yvan Larondelle, professeur à la Faculté des bioingénieurs. Le DHA est particulièrement efficace pour ce job, ce qui ouvre de nouvelles pistes de recherche. En tant que bioingénieur, je pense au développement d'aliments plus riches en DHA, en profitant des capacités enzymatiques de certains animaux. Par exemple, les salmonidés comme la truite arc-en-ciel peut fabriquer pas mal de DHA lorsqu'on lui donne des précurseurs adéquats. Un autre animal extraordinaire c'est la poule pondeuse qui, nourrie de façon adéquate, produit des oeufs riches en DHA. Enfin, certaines microalgues ont aussi cette capacité". D'autres AG naturellement trouvés dans l'environnement et dans certains aliments sont également efficaces pour provoquer de la ferroptose, estime-t-il: "Des projets sont en cours dans nos laboratoires, on peut imaginer développer des cocktails d'huiles pour augmenter la prévention ou introduire ces huiles dans des aliments (par exemple, des crackers enrichis pour remplacer les chips). Enfin, on pourrait combiner du DHA ou d'autres AG avec certains médicaments et introduire ce genre de composés dans des programmes de chimiothérapie". Synergie"Des médicaments développés dans le cadre de l'obésité (censés empêcher la formation de triglycérides dans le tissu adipeux) arrivent sur le marché aujourd'hui. On a démontré qu'on pouvait les détourner vers l'usage spécifique que nous venons de décrire: quand le DHA entre dans une cellule tumorale, celle-ci essaye de se défendre en le stoquant dans des gouttelettes. Or, quand on utilise ces médicaments antiobésité et qu'on empêche la formation des triglycérides dans les cellules tumorales, on décuple les effets du DHA (et ceci pour des doses 'décentes')", souligne Olivier Feron. "Concernant la chimiothérapie, il y a une synergie entre les deux approches, ajoute-t-il: la première, classique, qui détruit les cellules en prolifération et notre approche qui a le mérite d'empêcher la rechute et surtout de limiter le processus métastatique. Nous sommes en train de tester ces associations dans des modèles murins. On a aussi initié une étude clinique pour évaluer comment un complément alimentaire permet d'impacter la concentration sanguine en DHA. L'objectif est d'arriver à proposer ce traitement en clinique".