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"Ces dix dernières années (2010-2020), l'ensemble des études cliniques pour développer un vaccin prenait environ 8 ans. En mars 2020, parler de 8 ans cela n'avait aucun sens. Par contre, il est intéressant de constater que dans ces études cliniques pour évaluer la sécurité avant mise sur le marché, le nombre de patients n'était pas aussi important qu'on pouvait le croire: 5-6.000. Pareil pour l'efficacité. Et, la durée moyenne des études cliniques pour la sécurité des médicaments est de 6 mois. Donc, on savait qu'on avait un temps incompressible pour atteindre les mêmes standards d'efficacité et de sécurité". "Je me souviens des premières réunions de l'industrie pharmaceutique avec l'OMS, l'EMA quand ils nous ont dit qu'ils allaient développer des vaccins à ARNm: c'était la surprise! Cela n'avait jamais été fait. C'était donc un double challenge! Et, on savait que ce serait aussi un défi pour l'expliquer à la population". En parallèle, des vaccins à adénovirus ont été développés. 9 mois après, les deux premiers vaccins à ARNm et les deux premiers à adénovirus ont obtenu une autorisation. Pour le Pr Dogné, le succès de ce développement est quadruple: -"ces études cliniques ont été faites grâce aux patients qui ont accepté d'être enrôlés: des dizaines d'études cliniques de phase 2 et 3 en parallèle, avec des niveaux d'incorporation de patients jamais vus auparavant (>25-30.000/vaccin au minimum). On a été surpris de l'engouement, les timing ont donc pu être respectés,-en collaboration avec les autorités régulatoires au jour le jour,-un financement avec des budget "no limit" (vu les coûts socio-économiques de la pandémie), -un résultat particulièrement intéressant pour le développement des vaccins. Tout sur le Covid Malheureusement, il y a actuellement un effet inverse: "On a tout concentré sur les vaccins Covid. Aujourd'hui, 156 vaccins en études cliniques, presque 200 vaccins en études non cliniques. Donc 350 vaccins qui a un moment où l'autre peuvent être dans le pipeline et devenir de futurs vaccins Covid! Alors qu'il y a d'autres maladies bien évidemment. C'est peut-être la problématique actuelle: on ne parle plus que du vaccin covid". Second souci: tout est concentré sur des vaccins assez classiques par des voies intramusculaires: "Seuls 8 vaccins sont en étude clinique intranasale. Or, on sait qu'il y a un intérêt majeur. L'industrie s'est concentrée sur les vaccins les plus prometteurs. Aujourd'hui, il faut se poser des questions: où doit-on mettre l'argent?"Le défi concernait aussi la production: "Il fallait avoir le know how, la matière première, la qualité de production... Ce n'est pas aussi simple que ça. Il vaut donc mieux mettre tous ses oeufs dans un certain nombre de paniers en terme de production pour pouvoir fournir des vaccins en quantité. A l'heure actuelle, on vaccine encore 10 millions de personnes/j, mais principalement dans les pays industrialisés, seuls 16% de la population à faible revenus ont reçu au moins 1 dose de vaccin. Avec le risque potentiel d'émergence de variants, ce qui rend compliqué le développement actuel des vaccins tant en terme d'efficacité que de sécurité". Qui décide?"C'est l'industrie! Si elle ne fait pas de demande de mise sur le marché avec des données, il n'y a pas de vaccins. Ni en Europe, ni aux Etats-Unis, nous n'avons la capacité de développer, de produire un vaccin en grosse quantité et d'avoir des études cliniques qui permettent de le faire dans des délais aussi courts. L'industrie fournit un dossier à l'EMA qui l'analyse, qui rend un avis à la Commission européenne qui décide et fournit une autorisation de mise sur le marché dans les 27 pays européens". "Cela a permis d'obtenir un portfolio de vaccins qui est difficilement interprétable: certains bons vaccins sont des échecs en terme d'utilisation, alors que Spikevax est par exemple un excellent vaccin, d'une efficacité au moins équivalente voire supérieure au vaccin Pfizer, mais il est un peu boudé parce que les gens ne le connaissent pas". Évolution "Le défi aujourd'hui ce n'est plus le développement d'un vaccin, c'est de fournir des données robustes à ceux qui vont les recommander en termes d'efficacité sur le bon variant au bon moment et suivant ce que vous avez eu par le passé. On est dans une situation assez compliquée vu l'évolution génomique des variants. Les études cliniques prennent 3 à 6 mois, donc il est difficile d'avoir une période qui correspond au variant d'intérêt pour lesquels on souhaite avoir un vaccin. Si on avait voulu adapter les vaccins en février 2021, on aurait déjà changé 4 fois! Si on avait fait un vaccin adapté à l'alpha, on l'aurait eu en septembre, c'est-à-dire en plein milieu du delta! Si on avait adapté le vaccin au delta, on l'aurait eu 6 mois après, en plein omicron!...""En terme de confiance sur l'utilisation des vaccins: il faut dire sur quoi les vaccins sont efficaces et s'ils sont toujours efficaces à la période actuelle, suivant la situation épidémiologique, sur quel variant? Cela devient beaucoup plus complexe chez les personnes vaccinées avec le réflexe de dire que les vaccins ne marchent plus: 'j'ai été vaccinés deux fois et j'ai développé des symptômes d'omicron....' Donc toute la question est de savoir s'il faut un booster et quand le faire?"Jean-Michel Dogné a encore expliqué que seule l'AMM ou l'indication d'un vaccin n'est possible que si la firme le demande. "Si elle ne demande pas une autorisation de son vaccin pour un deuxième booster, l'EMA ne peut pas d'autorité le faire. C'est ce qui se passe aujourd'hui avec le deuxième booster. Il n'y a pas eu de demandes de l'industrie avec des données pour le justifier. On n'a donc pas cette autorisation mais les recommandations conseillent par exemple: "si la situation épidémiologique le justifie, chez les >80 ans..." "Aujourd'hui, le CSS ne l'a pas recommandé officiellement quels que soient les groupes d'âge ou les populations. Mais, à titre individuel, cela peut être proposé. On arrive donc à un système d'une grande complexité". Or, la campagne de vaccination c'est ce qui régule en finale l'efficacité du vaccin: "Si vous avez un vaccin efficace qui n'est pas distribué correctement, cela ne marche pas. La Belgique est dans le top 5 des grands pays européens les mieux vaccinés". Qu'est-ce qui nous attend? "Certainement une campagne de 2e booster, en août/septembre sans doute. Mais vacciner par quoi? C'est la question. Je ne sais pas. Parce qu'on nous promet un vaccin adapté, mais contre quoi? Moderna et Pfizer travaillent sur des vaccins adaptés avec une vision un peu différente: Moderna développe des vaccins bivalents (dont Wuhan et Omicron), et Pfizer développe un vaccin contre omicron". On assiste donc à un changement de paradigme en terme d'études cliniques: "on n'est plus dans des études de 30.000 individus, on ne mesure plus d'efficacité clinique, on mesure des corrélats de protection qui ne portent pas leur nom: a-t-on une séroconversion, une réponse immunitaire avec le booster qui est bonne, non inférieure ou au moins équivalente aux vaccins actuels? Je ne suis pas certain qu'on l'aura. On aura peut-être des vaccins soit disant adaptés mais qui ne seront peut-être pas plus optimaux que les vaccins actuels Pfizer et Moderna. Ce qui nous permettrait d'écouler nos stocks...!"Il constate que jusqu'à présent, les vaccins ARNm préforment sur les hospitalisations de façon très efficace. "Est-ce qu'il faudra le refaire, suivant les populations, tous les 6 mois? Et quel type de vaccin? Pourquoi pas? Il est faux de dire que cela ne marche pas, il marche très bien sur les hospitalisations, mais pas sur la transmission". "Faire la saga des vaccins c'est surtout faire la saga de la façon dont ils sont perçus par la population. C'est ce que je crains aujourd'hui: la perte d'adhérence globale pour la vaccination. Pour les campagnes de vaccination, il faut des données robustes, fiables et transparentes. Il faut que les gens soient investis de l'intérêt de la vaccination. Et, le premier critère c'est la confiance dans les autorités", conclut il.