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Direction Hansbeke, de préférence armé d'un gps. Là, littéralement sous le clocher du village, la porte du professeur émérite et pharmacien Willy Baeyens s'ouvre. L'accueil est chaleureux, le verre de porto plaisant. Willy Baeyens peut (enfin) s'asseoir et regarder en arrière. " Mais pas trop... De nombreuses choses passionnantes m'attendent. En tant que musicien, organisateur de congrès, professeur dans les jurys de défense de thèses en Espagne, mari, père et, surtout, grand-père... " Et en jetant un £il sur sa pelouse parfaitement entretenue, comme jardinier sans doute. Vous avez été membre du Conseil national pendant 17 ans et président de la partie néerlandophone de l'Ordre des Pharmaciens pendant 13 ans. Vous avez forcément été le témoin de nombreux changements. Lequel vous a le plus frappé ? L'Ordre a vraiment vécu une métamorphose ces 15 dernières années. Nous étions enfermés dans une tour d'ivoire que nous avons heureusement détruite. Avec mes confrères - d'abord le professeur Jacques Hanot, puis le professeur Jeanine Fontaine - nous avons fourni beaucoup d'efforts et réussi à prendre des mesures importantes pour devenir un organe de contrôle disciplinaire transparent. La perception de l'Ordre n'a pas toujours été très bonne... ( soupirs) Oui, c'est vrai. Pour beaucoup, l'Ordre reste une sorte d'institution corporatiste lourde et opaque dirigée par quelques têtes grises suffisantes qui ne connaissent pas le métier ou guidés par leur seul intérêt. On voit maintenant que l'Ordre se positionne de plus en plus comme un interlocuteur pour les pharmaciens, et non plus comme un inspecteur redouté infligeant des sanctions. L'Ordre est devenu un organe pour qui les sanctions disciplinaires n'occupent certainement plus la première place. Nous sommes une institution créée par le législateur dans le but premier de lutter contre les dérives commerciales. Un organe qui a pris, au niveau disciplinaire, une position d'informateur et de conciliateur. Comment avez-vous procédé pour en arriver là ? L'un de nos principaux moyens fut sans conteste le lancement de notre site internet, convivial, et qui sera d'ailleurs bientôt encore plus performant. Mais nous avons aussi adapté à deux reprises le Code de déontologie pharmaceutique. Nous avons d'abord eu de nombreuses réunions avec tous les niveaux de la profession, les magistrats et les juristes. Nous avons également positionné l'Ordre en Belgique et à l'étranger. Nous prenons constamment la température au niveau de la législation et de l'exercice de la profession, également à l'échelle européenne. Nous sommes aujourd'hui présents dans presque toutes les plateformes importantes des professionnels de santé : PGEU, e-Health, EURHeCA, l'AFMPS, le cabinet Santé publique, soit à tous les niveaux de régulation européens... Nous sommes un interlocuteur à part entière dans la mise au point des principaux AR. Mais nous essayons aussi, bien plus que par le passé, d'anticiper les problèmes juridico-déontologiques. Nous consultons en permanence l'Ordre des Médecins, l'Ordre des Architectes, l'Ordre des Vétérinaires, l'Ordre des Barreaux flamands et leurs homologues francophones. Une nécessité, certainement au vu de la note de politique de Di Rupo qui veut scinder tous les Ordres du pays... Les Ordres sont effectivement amenés à être séparés. Nous avons d'ailleurs déjà eu toute une série de réunions constructives à ce sujet, vu cette décision de créer un Ordre néerlandophone et un autre francophone, avec, heureusement, un seul Code national valable pour tous les pharmaciens belges. Cette nouvelle structure est toujours en 'construction' et n'a donc pas encore été établie. Mais une série d'éléments sont d'ores et déjà plus ou moins sûrs. Nous voulons uniformiser les sanctions disciplinaires dans les diverses provinces. Sur base de l'enquête du Conseil provincial concerné, il y aura une sorte d'organe intermédiaire - un du côté francophone et un du côté néerlandophone - qui prononcera la mesure disciplinaire. C'est l'une des principales pistes de réflexion, mais il n'est pas si évident de la traduire structurellement dans la pratique. La profession de pharmacien a dû essuyer ces derniers temps quelques attaques frontales, notamment suite aux visites anonymes menées par Test-Achats. Oui, les résultats de cette 'enquête' ont été mal accueillis par la majorité des pharmaciens, mais aussi par l'Ordre. Et c'est volontairement que je place le terme enquête entre guillemets. Nous pouvons remettre en doute la manière peu scientifique avec laquelle cette enquête a été menée, mais nous ne pouvons pas nier ces résultats. Le point positif de ce dossier est qu'il a mené à une série de réunions très constructives avec le cabinet Santé publique. Au début, il n'y avait que quelques hommes, mais au final, nous disposons maintenant d'un groupe dans lequel toutes les universités du pays sont représentées. Je ne serai pas là pour voir ces réunions se traduire en actions concrètes, mais je vois déjà qu'on va dans la bonne direction. La volonté de réussir est très claire chez tous les partenaires présents, tout comme du côté du cabinet. Un peu déçu de ne plus en faire partie ? (un peu hésitant) Oui, naturellement. Mais je suis tout à fait conscient que de jeunes pharmaciens doivent avoir leur chance et prendre les rênes. En tant que pharmacien de c£ur et en tant que personne, je me suis fortement impliqué pour faire en sorte de revaloriser la profession à tous les niveaux possibles. Cela n'a pas toujours été simple, l'opposition était parfois tenace. J'ai vraiment aimé collaborer à tant d'actions à tous les niveaux et en poursuivant un seul et même but : améliorer la qualité de la pratique du métier de pharmacien et par là, la reconnaissance sociale. Que ce soit pour le pharmacien d'officine, le pharmacien hospitalier ou le biologiste clinique. Je me suis toujours placé en dehors des projecteurs. Un peu comme en musique. Vous savez que je joue de la basse... Et bien, c'est la même chose : je préfère jouer de la basse parce que l'impact sur le produit final est capital et que personne ne peut vraiment estimer ce rôle, contrairement au guitariste soliste qui, avec des riffs somptueux, attire l'attention de tout le monde. Maintenant, je descends de scène. En tant qu'Ordre, nous avons abandonné notre tour d'ivoire. Nous sommes descendus sur le terrain, avons rencontré les étudiants en dernière année de pharmacie et organisé des sessions de cours de déontologie. Une expérience particulièrement passionnante ! Nous y avons débattu avec des jeunes pharmaciens. Et c'est désormais à ces jeunes de prendre le relais. Mais le travail n'est pas encore terminé... Et loin de l'être ! L'Ordre devra encore plus investir à l'avenir dans les contacts et les sessions de formation avec les étudiants en dernière année, les jeunes diplômés et leurs maîtres de stage... La jeune génération de pharmaciens en est très consciente, d'où la nécessité de mettre en place aujourd'hui des structures officielles pour aider les pharmaciens à prendre leur responsabilité lors des élections des Conseils. Mais en réalité, l'Ordre en soi ne devrait pas être nécessaire. Pour reprendre les propos de mon collègue Jacques Hanot : la déontologie commence là où se termine la loi. Adopter un comportement correct, en partie soutenu par une formation universitaire longue et difficile, envers les patients, les confrères, les institutions est l'évidence même. Mais oui, tout le monde n'est pas de cet avis et il faut donc faire des contrôles, des enquêtes et si besoin, prendre des sanctions. Sans un code éthique et déontologique, le système ne fonctionne pas, à mon grand regret... C'est que qu'on appelle " la bête humaine "... Faire le bilan est synonyme d'évaluation. Y a-t-il quelque chose que vous regrettez ? Oh c'est un argument un peu classique : " if I had to redo from start ". Avec le savoir dont je dispose aujourd'hui, je choisirais la même approche, mais je construirais bien une organisation plus efficace de nos objectifs. Et oui, je stimulerais plus sérieusement les contacts avec tous les acteurs concernés. Des regrets ? Peut-être sur le fait qu'à côté de mon diplôme de pharmacien, je n'ai jamais tenté de décrocher un diplôme de droit. Bien que la vie soit avant tout scientifique, nous sommes dans une structure dominée par la loi stricte. C'est qui m'a valu souvent des frustrations professionnelles. Mea culpa car j'ai investi dans la recherche académique, la luminescence, l'analyse des médicaments, les langues, la musique au lieu d'arpenter les auditoires de la Faculté de Droit. Mais bon, nous avons trouvé une solution en dotant notre Conseil national de juristes particulièrement compétents. Et maintenant professeur ? Maintenant ? Je vais faire mes valises et partir une semaine en vacances ! Bonne route professeur !