L'étude ROAD démontre que la re-délivrance des médicaments anticancéreux oraux inutilisés est associée à une réduction des déchets et à d'importantes économies, améliorant ainsi l'accessibilité financière et la durabilité des traitements du cancer.
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Comment garantir l'accès durable et abordable aux médicaments dans un contexte de pénuries, de prix élevés et de défis environnementaux ? On le sait, les soins de santé sont confrontés au changement climatique, tout en y contribuant eux-mêmes en raison de leur empreinte carbone considérable, dont 50% sont dus aux médicaments et dispositifs médicaux. D'autant que les médicaments génèrent en outre beaucoup de déchets. Réduire ceux-ci est indispensable pour maintenir un accès abordable aux nouveaux médicaments, notamment anticancéreux, tout en minimisant simultanément les répercusions sur l'environnement.AntigaspiL'une des voies étudiées consiste à éviter le gaspillage. Par exemple, en collectant les médicaments non utilisés par les patients à domicile pour les redistribuer à d'autres patients. Cette solution pour séduisante qu'elle est soit doit résoudre la question des incertitudes concernant la qualité des médicaments stockés chez les patients. "Les technologies de détection et les emballages scellés pourraient être utilisés pour s'assurer que seuls les médicaments non ouverts et intacts répondant à toutes les normes de qualité sont redélivrés, ce qui nécessite quelques investissements", précisent Charlotte Bekker (Radboud University, Pays-Bas) et ses collègues dans le JAMA Oncol (2024;10(1):87-94). "Les médicaments anticancéreux oraux sont des candidats potentiellement appropriés pour la redistribution, estiment-ils. Des études antérieures ont démontré qu'environ un tiers des patients interrompent prématurément leur traitement. Compte tenu des implications budgétaires élevées et croissantes de ces anticancéreux, la réduction des déchets semble être une stratégie pratique de maîtrise des coûts car elle ne compromet pas la valeur thérapeutique pour les patients. La redistribution des anticancéreux oraux inutilisés semble être réalisable compte tenu de la quantité et du coût considérables des déchets." Cette stratégie est-elle économiquement avantageuse ?Pour le savoir, cette équipe néerlandaise a réalisé une étude pour quantifier la réduction des déchets et les économies réalisées grâce à la re-délivrance des anticancéreux per os non utilisés par les patients, par rapport à la pratique standard qui consiste à éliminer ces médicaments inutilisés comme des déchets. L'étude ROAD a été présentée au congrès de la Société européenne de pharmacie clinique (ESCP) qui a eu lieu du 21 au 23 octobre 2024 à Cracovie. Cette étude d'intervention prospective multicentrique a été menée dans les pharmacies de 4 hôpitaux aux Pays-Bas du 1er février 2021 au 1er février 2023, avec un suivi de 12 mois de chaque patient. 1.071 patients atteints de cancer et ayant une ordonnance pour un médicament anticancéreux oral pouvant être conservé à température ambiante ont été inclus. Les participants ont reçu des anticancéreux oraux à utiliser à domicile dans un emballage spécial (scellé avec un indicateur de temps et de température) et à retourner à la pharmacie s'ils n'avaient pas été consommés. La pharmacie s'est assurée de la qualité des médicaments retournés sur la base de leur authenticité, de leur apparence, de leur durée de conservation restante et de leur température de stockage adéquate. Ensuite, les médicaments répondant aux exigences de qualité ont été redistribués à d'autres patients.Résultats ?Au total, 171 patients (16%) ont retourné 335 emballages de médicaments anticancéreux oraux inutilisés. Parmi ceux-ci, 228 ont été redistribués, ce qui a permis une réduction de 68% des déchets (représentant 2,4% du coût total des médicaments délivrés dans l'étude) et une économie annuelle nette moyenne d'au moins 576€ (682$ US) par participant."Notre étude démontre que la redistribution de médicaments anticancéreux oraux non utilisés est une stratégie appropriée pour améliorer l'accessibilité financière et la durabilité du traitement du cancer : -les médicaments anticancéreux oraux qui ne sont pas utilisés par les patients à domicile peuvent être distribués en toute sécurité à d'autres patients après vérification de la qualité en pharmacie,-cette redistribution permet de réduire de deux tiers les déchets d'anticancéreux oraux,-une somme d'au moins 576€ par patient et par an pourraient être économisée. Et en se concentrant sur les patients à risque, nous avons même pu l'optimiser jusqu'à 1.348€ par patient et par an", conclut Charlotte Bekker.Ce projet qui a démontré sa faisabilité et sa capacité à économiser des centaines d'euros par patient, tout en étant bénéfique pour l'environnement, a entre-temps été élargi à 14 hôpitaux. "Nous cherchons activement à réduire le gaspillage de médicaments et à offrir des soins plus durables, et nous travaillons à faire évoluer la législation européenne.", a encore ajouté Charlotte Bekker. "Il n'y a probablement aucune (bonne) raison pour ne pas emboîter le pas vers une réflexion similaire en Belgique", a commenté la Pre Anne Spinewine (UCLouvain).