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"Cette enquête est l'occasion idéale de se faire une idée plus claire de l'image qu'ont les médecins et pharmaciens du problème de la pauvreté", commente le Pr De Loof. "Dans la mesure du possible, nous voudrions aussi essayer, sur la base des résultats, de déterminer si leur attitude diffère d'une génération à l'autre." Il est également probable que les résultats trahissent l'immense complexité du paysage des soins, poursuit-il. "Nous sommes formés à soigner mais, tout en ayant conscience que cette tâche va bien au-delà de la santé proprement dite, il n'est pas toujours simple pour nous en tant que prestataires d'aller plus loin." Le Pr De Loof évoque pour illustrer son propos deux récents travaux de fin de master consacrés aux dettes à l'officine. "Les étudiants et moi-même avons été abasourdis par le nombre et la complexité des initiatives qui existent dans ce domaine, dont nous n'avons déjà pas toujours nous-mêmes une idée très claire. Je vous laisse imaginer ce que cela donne pour le patient ou le soignant lambda!" "Les prestataires de soins - et les médecins en particulier - réfléchissent vraiment trop peu voire pas du tout à la contribution financière personnelle du patient", enchaîne le Dr Catthoor. "Au fond, ce n'est guère qu'au travers de nos pourcentages de prescriptions bon marché que les autorités nous confrontent au coût des traitements que nous recommandons - un problème qui ne se pose d'ailleurs plus vraiment en psychiatrie, où il n'y a plus de médicaments onéreux. La contribution personnelle du patient, la fraction du prix que les gens paient de leur poche, les médecins n'y pensent pas. Et, j'avoue que cela ne fait qu'une dizaine d'années que j'y suis attentive, depuis que je travaille dans un hôpital qui accueille beaucoup de personnes dont la situation financière est très difficile. Il y a quelque temps, j'ai voulu faire le compte du coût réel d'un traitement dans le cadre d'une journée d'étude, et j'ai été ébahie. Entre-temps, ce calcul est presque devenu un automatisme pour moi, mais nombre de collègues ne savent tout simplement pas ce qu'est la pauvreté." Le Pr De Loof enchaîne sur une anecdote qui illustre bien ce décalage: "On m'a rapporté un jour qu'un neurologue avait suggéré à un patient atteint de SEP de faire aménager une piscine dans son jardin. Vous imaginez la consternation de l'intéressé! En soi, c'était une réflexion rationnelle de la part du médecin, qui cherchait simplement une piste thérapeutique... mais la perception des patients est évidemment tout à fait différente, comme l'ont également démontré plusieurs études. Nous n'y pensons pas suffisamment." L'expert souligne néanmoins que la situation est sans doute un peu différente pour les pharmaciens, puisqu'ils sont amenés au quotidien à présenter aux patients la facture des médicaments qu'ils délivrent. Le Pr De Loof fait régulièrement faire à ses étudiants de dernière année un petit exercice dans ce domaine. "Dans le cadre d'une revue de médication, je leur demande de dresser la liste de ce que les patients paient de leur poche à l'officine et de l'intervention de l'assurance. Il arrive parfois que cette analyse leur permet d'identifier des alternatives moins chères, mais ils sont souvent choqués par le montant total que les patients doivent débourser. Récemment, nous avons ainsi examiné le cas d'un enfant qui avait dû subir deux greffes de moelle osseuse et qui totalisait 8500 euros de contributions personnelles en l'espace de deux ans, en sus d'une intervention de 5000 euros de l'Inami. Ce sont des montants colossaux qui placent vraiment les étudiants face à la réalité du terrain." Les pharmaciens - et les prestataires de soins en général - devraient être mieux formés aux solutions qui existent pour les patients en difficulté financière, poursuit le Pr De Loof. "La médiation de dettes ou la mise sous administration, par exemple, sont des domaines que la plupart d'entre nous ne connaissent pas ou pas suffisamment." Le professeur de pharmacologie renvoie à une étude récente portant sur la prescription et la délivrance gratuite de médicaments. "La plupart des pharmaciens ont bien conscience que le statut MAF alimente une propension à constituer des réserves. On observe très clairement que la délivrance d'opioïdes augmente vers la fin de l'année chez les personnes qui en bénéficient et pour moi, c'est un signal très clair que cette forme de gratuité n'est pas judicieuse. Cette augmentation est en effet extrêmement préoccupante, car nous savons qu'elle s'accompagne de problèmes de consommation. Je pense donc qu'un système basé sur une moyenne mobile étalée sur l'année, idéalement avec un modeste ticket modérateur, serait préférable à un MAF annuel." L'enquête lancée aujourd'hui est en tout cas une belle occasion d'aborder la problématique de la pauvreté et d'attirer l'attention des institutions d'enseignement sur la nécessité de lui donner une place dans leur programme, conclut le Pr De Loof.