Le matériel d'injection pour usagers de drogues est-il disponible dans les pharmacies bruxelloises? Une étude dresse l'état des lieux et souligne que les limites à la participation des pharmaciens dans la politique de réduction des risques ne sont pas liées au sentiment d'insécurité éventuel, mais plutôt à la logistique.
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"La pharmacie est peu mobilisée dans le cadre de l'étude du phénomène de drogues, pourtant l'officine est un acteur majeur dans la prise en charge des usagers de drogues. (...) Ainsi, le pharmacien, acteur de terrain en matière de santé publique, est considéré comme un intermédiaire privilégié pour faire progresser la diffusion de matériels d'injection, relayer les actions de prévention de soins auprès des usagers de drogues et accompagner les patients pris en charge par traitements de substitution aux opiacés (TSO)."Face à ce constat, l'asbl Transit, dans son rôle d'Opérateur Régional Bruxellois en matière d'Assuétudes (ORBA), s'est penchée sur le rôle de première ligne des pharmacies auprès des usagers de drogues par injection. L'objectif étant de fournir des pistes pour améliorer la diversification et la disponibilité de l'offre en matière de réduction des risques. Transit s'est rendue dans 497 officines situées sur le territoire des 19 communes afin de questionner les pharmaciens sur la nature de leurs activités en lien avec les consommateurs de drogues: analyse de l'offre et de la demande de seringues en officine (conditionnements proposés, volumes vendus annuellement, évolution de la fréquence des demandes durant et en dehors des gardes, motifs invoqués en cas de refus...) et récupération et évacuation des seringues usagées (points de récupération, motifs invoqués en cas de refus, fréquence de la demande, estimation des volumes récupérés). Le pôle recherche et développement de l'asbl vient de publier les résultats de cette vaste enquête. L'entièreté du rapport peut être consulté sur le site d'Infogram. Résultats?"Globalement, la disponibilité de seringues stériles en officine semble assez bonne, 81% des pharmacies répondantes (376 sur 497 contactées) déclarant proposer des seringues à la vente. Cependant, c'est leur conditionnement qui peut poser question, estiment les auteurs de l'étude. En effet, seules 6% des pharmacies bruxelloises interrogées proposent la vente sous forme de kits Stérifix, pour rappel seul conditionnement permettant aux usagers injecteurs de minimiser l'ensemble des risques sanitaires liés à leur consommation. De plus, seules 18% d'entre elles proposent la vente à l'unité, plus adaptée aux consommateurs de rue précarisés que la vente par sachet de 10."Les pharmacies bruxelloises ne semblent pas être soumises à une demande très fréquente en seringues, 77% d'entre elles déclarant avoir en moyenne moins d'une demande par semaine. 84% des officines sondées estiment que la demande a diminué/s'est stabilisée ces 5 dernières années. "Durant les gardes, la demande en seringues n'est à priori pas plus importante et reste très faible. Pour la grande majorité des officines sondées (89%), la demande est identique, voire moins importante qu'en journée."Parmi les motifs évoqués pour refuser de vendre des seringues stériles, le principal est l'absence de demande (71%), d'autres estiment que ce n'est pas leur rôle (10%) ou qu'il s'agit d'une pratique contraire à leur éthique (6%). "Le fait d'avoir connu des problèmes avec des usagers (9%) ou d'en redouter (4%) ne semble donc qu'un motif très marginal de refus, ce qui est plutôt rassurant dans une éventuelle optique d'amélioration de la couverture en points d'accès au matériel stérile", notent les auteurs.Que faire des seringues usagées?"Le cadre réglementaire ne prévoit pas la possibilité de récupérer des seringues usagées en officines et l'absence de filière de récupération est le principal motif invoqué par les pharmaciens pour justifier leur refus. En résulte une très faible offre en la matière et une demande assez faible. Plus de 80% des officines sondées disent y faire face maximum une fois par mois. Les volumes récupérés mensuellement semblent très maigres par rapport aux volumes distribués (+de 66.000/an, selon les estimations pour 2021). Il semblerait aussi qu'une petite minorité de pharmacies contribuent à elles-seules à récupérer de gros volumes. Le taux de récupération en pharmacie est donc logiquement assez bas, et les capacités des filières alternatives d'évacuation à compenser ce déficit de récupération sont actuellement inconnues."L'enquête montre que seules 56 pharmacies sur les 374 qui ont répondu à cette question acceptent de récupérer les seringues usagées, soit 15%. "Soulignons à nouveau que, de manière similaire à la question de la vente de seringues, la peur d'avoir des problèmes (3%) ou le fait d'en avoir connu (1%) ne semblent absolument pas des motifs déterminants sur ces questions, laissant penser que le sentiment d'insécurité des pharmaciens par rapport aux usagers de drogue resterait à des niveaux relativement bas", estiment les chercheurs.Pistes à suivreDans leurs conclusions, ils recommandent aux autorités publiques de prendre des mesures en vue d'augmenter la disponibilité des kits Stérifix en officine et de développer une filière de récupération systématique et facilement accessible, accompagnée d'un cadre légal."Actuellement, les pharmaciens semblent des acteurs incontournables de ce nécessaire changement, et lorsque nous les avons interrogés sur l'indisponibilité des kits Stérifix, la majorité nous a répondu ignorer leur existence ou la manière de s'en procurer. Il y a donc là une marge de progression urgente à mettre en oeuvre.""L'implication des pharmaciens dans la prise en charge des personnes consommatrices de drogues peut varier. Cela peut s'expliquer par un manque d'outils à disposition, de formation dans le domaine de l'addiction et de sa prise en charge, par la persistance des préjugés envers les usagers de drogues, par la peur ou, plus rarement, par les mauvaises expériences. Développer des séances d'informations tournées sur la pratique de la réduction des risques permettrait à l'ensemble des pharmaciens d'être sensibilisés et formés et ainsi accroître leur compétence dans la prise en charge quotidienne de ces patients", concluent les auteurs de l'étude.