La France s'est donné pour mission de reconquérir sa souveraineté, ce qui passe notamment par la relocalisation de la production du paracétamol dans l'Hexagone. Cette stratégie se heurte à des limites économiques voire philosophiques.
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En France, le président Emmanuel Macron s'est engagé dans une stratégie de reconquête de "la souveraineté sanitaire et industrielle", vue comme l'un des piliers du plan de relance français: "Nous devons relocaliser et recréer des forces de production sur nos territoires", a-t-il tweeté le 28 août dernier à l'occasion d'une visite du laboratoire Sequens, l'une des plus anciennes usines de principes actifs dans le monde. Elle se situe à Villeneuve-la-Garenne dans les Hauts-de-Seine. Le groupe Sequens est le deuxième producteur européen de principes actifs et l'un des leaders mondiaux du paracétamol qu'il produit dans son usine chinoise. On se souviendra que le président Macron avait annoncé en juin dernier vouloir relocaliser en France la production du paracétamol pour 2023. Depuis lors, Sequens, mais aussi Sanofi et Upsa réfléchissent à cette possibilité avec les autorités françaises. Des précisions devraient être données le 3 septembre prochain lors de la présentation du plan de relance et de son financement. Le paracétamol n'est pas le seul visé, le gouvernement a lancé un appel à manifestation d'intérêt pour la production de 30 principes actifs (date limite 31 octobre 2020).Cher et vilain?La France s'est donc lancée dans une entreprise de reconquête de sa souveraineté. Mais relocaliser est-ce une bonne idée? Certains pointent les limites de cette stratégie, comme le coût et les règles de la libre concurrence européenne, par exemple. En Europe, le coût du travail et les impôts coûtent plus cher qu'en Chine. On estime ainsi que les prix de ce paracétamol made in France devraient être au moins 10% supérieurs aux prix asiatiques. Sur France Inter (1er septembre), Olivier Bogillot, président de Sanofi France, a prévenu: "Ceux qui font des efforts pour avoir des usines de production, des centres de recherche en France et en Europe doivent être récompensés d'une manière ou d'une autre, avec une politique de prix, des incitations fiscales..." Un principe qui s'oppose au choix fait de privilégier les génériques pour réduire les dépenses de santé. "Cette relocalisation impose donc un changement de dogme à 180° sur ces médicaments anciens, à faible valeur ajoutée mais qualifiés d'indispensables", a expliqué l'économiste Carine Milcent à la même radio. Sans compter que ceci entraîne aussi des problèmes de concurrence au sein de l'UE. "Le principe d'une relocalisation doit donc se poser au niveau européen et pas seulement français, pour des raisons de concurrence d'abord, mais aussi de taille du marché et donc de débouchés pour les fabricants", a-t-elle ajouté. Dans la balanceCe changement de paradigme, appelé également aujourd'hui de ses voeux par l'Europe, ne pourra cependant pas faire l'économie d'une réflexion sur la notion même de "produit de première nécessité". Ce qui nous a manqué lors de cette pandémie ne sera peut-être pas ce qui sera essentiel lors d'une prochaine crise sanitaire. Par ailleurs, il ne faut pas oublier les capacités d'ajustement du système industriel mondial. Il n'est qu'à voir l'exemple des masques où, face aux ruptures d'approvisionnement, beaucoup se sont mis à en fabriquer en France, ou chez nous aussi, et qui à présent n'arrivent plus à écouler leurs stocks et s'en retournent à leurs activités habituelles. Quoiqu'il en soit, d'autres arguments plaident plutôt en faveur de la relocalisation comme le climat de plus en plus défavorable aux délocalisations invoquant le coût écologique autant qu'éthique de certaines de ces pratiques. Une préoccupation à laquelle il faut ajouter les problèmes très concrets tels que l'augmentation des salaires les plus bas (+20%/an en Chine), les problèmes de livraison et de stockage, les frais logistiques, les malfaçons... Dès lors, seul l'avenir pourra dire si la souveraineté à la française est un mirage ou une planche de salut...