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Le 15 janvier, le Collège de France et le Collège de Belgique de l'Académie royale des sciences, lettres et beaux-arts ont organisé un webinaire intitulé "Les inégalités face au virus, un virus vecteur d'inégalités". L'un des intervenants, le Pr Arnaud Marchant, directeur de l'Institut d'immunologie médicale de l'ULB, s'est intéressé à la question de la résistance relative des enfants à l'infection au SARS-CoV-2. Comment l'explique-t-on? "Au départ, on ne s'attendait pas à ce que les enfants soient plus résistants aux infections sévères par le coronavirus. Pourquoi? Parce qu'on considère que les jeunes enfants sont susceptibles aux maladies infectieuses en général: il y a plus de 6 millions de décès dans le monde avant l'âge de 5 ans et la majorité sont liés aux maladies infectieuses. On sait aussi que parmi les pathogènes qui touchent plus sévèrement les enfants, on retrouve des virus respiratoires fréquents: le virus influenza et le VRS provoquent des infections plus sévères chez l'enfant que plus tard dans la vie".Loin d'être immature Or, l'infection par le SARS-CoV-2 montre que les enfants ne sont pas susceptibles à tous les agents pathogènes ou à tous les virus, poursuit-il: "C'est une leçon importante parce qu'on a longtemps considéré que le système immunitaire en début de vie était immature, que les enfants présentaient une forme d'immunodéficience liée à une incapacité de développer une réponse immunitaire efficace. Au cours des 20 dernières années, on a appris qu'en réalité le système immunitaire du jeune enfant est loin d'être immature. Probablement que c'est un système immunitaire extrêmement sophistiqué qui permet au foetus, au nourrisson et à l'enfant qui évolue dans l'environnement de s'adapter à des défis considérables (passage de la vie foetale au monde extérieur, rencontre avec les microbes non pathogènes et distinction entre les microbes pathogènes et non pathogènes). "Le système immunitaire n'est pas immature en début de vie et des réponses immunitaires peuvent être développées, insiste le Pr Marchant. Un élément essentiel qui permet de figer cette idée, c'est que les cellules du système immunitaire se développent très tôt au cours de la vie foetale et, à peu près à la moitié de la gestation, l'essentiel des cellules immunitaires sont en place et peuvent être détectées sous des formes matures chez le foetus". 3 hypothèsesCeci étant dit, il n'y a pas de réponse simple à la question de savoir pourquoi les enfants sont plus résistants aux formes sévères de l'infection. Arnaud Marchant évoque 3 pistes.La première hypothèse concerne l'interaction entre le SARS-CoV-2 et les récepteurs importants pour l'infection des cellules, ACE2 et la sérine protéase transmembranaire 2 (TMPRSS2): "Les données indiquent que l'expression de ces récepteurs augmente avec l'âge. Donc il est possible que cette forme de résistance soit liée à une plus faible capacité des cellules en début de vie à être infectées. Contre cette hypothèse, le fait qu'on observe des charges virales élevées au niveau des muqueuses des enfants infectés. Il n'y a donc pas d'évidence directe que cette expression évolutive joue directement un rôle dans les interactions entre les cellules et le virus". La seconde hypothèse concerne le rôle de l'exposition aux autres coronavirus, les coronavirus endémiques auxquels les enfants et les adultes sont régulièrement exposés: "On peut imaginer que l'exposition aux coronavirus endémiques dès l'enfance pourrait contribuer à un contrôle de la réplication du virus notamment au niveau des muqueuses et que la qualité et l'amplitude de ces réponses pourraient être différentes de celles de l'adulte et donc contribuer au contrôle et à la prévention des formes sévères. L'immunité mucosale pour ce virus est probablement importante, malheureusement, ces études sont difficiles à conduire".Ces deux hypothèses mettent en jeu des mécanismes virus spécifiques: les récepteurs d'une part, l'immunité anti-coronavirus d'autre part. La troisième hypothèse concerne le rôle de l'immunité innée, encore peu étudié. "Aujourd'hui, on sait que cette première phase de l'interaction entre le système immunitaire et le virus est extrêmement importante pour prévenir le développement des formes sévères. Qu'en est-il chez l'enfant? On n'en sait rien. Il manque des études prospectives qui permettent d'analyser les premières interactions entre le virus et le système immunitaire chez l'enfant. Une telle étude est actuellement menée à Genève". Régulation"Dans le contexte de cette relative maturité du système immunitaire, quelle est l'importance de la régulation? On s'aperçoit quand on étudie le système immunitaire du jeune enfant qu'il contient beaucoup de cellules aux propriétés régulatrices. Cette régulation est importante pour la tolérance des tissus maternels in utero, pour la tolérance des microbes non pathogènes rencontrés au cours des premiers mois de vie...". (Cette notion à fait l'objet d'une étude parue dans Science en mai 2020)Elle pourrait également intervenir pour contenir la réponse inflammatoire et prévenir le développement des réponses inflammatoires pathologiques qui pourraient mener à l'immunopathologie. "L'immunité innée du jeune enfant pourrait donc être régulée d'une manière particulière pour prévenir le développement de ces formes sévères. Ce sont des hypothèses qui restent à explorer", conclut le Pr Marchant. "Les données d'études de cohorte d'enfants montrent qu'ils ont des titres d'anticorps anti-coronavirus alpha assez élevés, qu'on ne retrouve pas à l'âge adulte. C'est probablement les conséquences d'infections récurrentes en collectivité, en particulier avec des alphacoronavirus. On imagine que cela contribue à la protection des enfants", ajoute le Pr Alain Fischer, immunologiste et coordinateur de la stratégie vaccinale pour l'Etat Français. Enfin, à quel moment le risque de l'enfant rejoint-il celui des adultes? "Jamais! Parce que le risque est croissant de la naissance aux âges les plus avancés et qu'il augmente de façon exponentielle. Une étude épidémiologique menée par l'Institut Pasteur au premier semestre 2020 montre que le risque de mortalité par infection par le Covid-19 est 8.000 fois supérieur chez les sujets de 80 ans et plus, comparé aux moins de 20 ans. C'est colossal! Ce risque de mortalité au delà de 80 ans est déjà 35 fois supérieur à celui entre 40-49 ans", répond-il. "Pourquoi les enfants sont moins porteurs du virus et moins contagieux? Et pourquoi les personnes âgées sont particulièrement sensibles à l'infection par le SARS-CoV-2? Cela reste assez mystérieux", estime Alain Fischer.