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Ce sont parfois de drôles de motivations qui président à une carrière professionnelle. Pour Marine Cillis, voir une copine d'école primaire, la fille de la pharmacienne du village, rentrer chez elle à midi pour manger avec sa maman lui a toujours fait envie. Au point de se dire que ce serait une bonne option pour elle plus tard: " Avec les années, ce désir est resté simplement parce que j'aimais les sciences et que j'avais envie de comprendre comment fonctionne le corps. J'ai tout de suite apprécié mes études de pharmacie et, en 2012, après avoir obtenu mon diplôme, je me suis lancée dans le Master complémentaire en Pharmacie d'hôpital. Ensuite, j'ai fait le Certificat universitaire de Pharmacie clinique à l'UCLouvain pour me spécialiser et approfondir mes connaissances, notamment grâce à un stage au Canada où la pharmacie clinique est très développée ". Pour la jeune pharmacienne, ce mois et demi passé au Canada à l'automne 2014 fut un premier défi: " Durant leurs cursus, les étudiants apprennent plus la pharmacothérapie et l'EBM que nous. J'ai dû beaucoup travailler pour réussir mon stage. C'était aussi enrichissant de découvrir l'organisation d'un autre pays où ils ont des dossiers patient papier, alors qu'en Belgique, nous sommes plus informatisés ". Une fois son Certificat de Pharmacie clinique en poche (2015), elle est engagée aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. Au début, à mi-temps au service de chimiothérapie et à mi-temps en pharmacie clinique pour la mucoviscidose, pour finalement travailler à temps plein aux Soins intensifs (SI). " La pharmacie clinique est ciblée patient, j'analyse le traitement de ceux qui sont hospitalisés aux SI, je regarde s'ils ont tous les médicaments dont ils ont besoin, si on a fait la réconciliation médicamenteuse, et je fais leur suivi pendant l'hospitalisation. Aux SI, les patients sont particulièrement fragiles et à risque d'erreur médicamenteuse parce qu'ils sont polymédiqués, parce qu'ils reçoivent beaucoup de médicaments à haut risque et parce qu'ils ont des défaillances multiorganes. Il est donc intéressant d'avoir un pharmacien clinicien dans l'équipe multidisciplinaire. En Belgique, c'est encore peu développé et financé, donc on priorise les unités de soins qui ont les patients les plus à risque ". En tant que pharmacienne clinicienne, Marine Cillis vise à favoriser l'utilisation la plus adéquate possible des médicaments. " Je participe au tour multidisciplinaire dans les chambres, je discute avec les médecins, les infirmiers pour essayer d'améliorer les traitements, je fais des suggestions argumentées... C'est une collaboration étroite, dans le respect des compétences de chacun. Quand on débute une activité de pharmacie clinique, il est important de créer une relation de confiance et de s'intégrer dans l'équipe. Comme cette fonction est assez récente et rare, il faut trouver sa place, montrer pourquoi on est utile et apprendre à connaître les gens pour pouvoir discuter en confiance afin d'améliorer les traitements ". Le pharmacien clinicien participe également à la formation ou à la création d'outils pour promouvoir le bon usage des médicaments. Marine Cillis en a par exemple créé un pour faciliter l'utilisation des antidotes dans des situations d'urgence. Elle a aussi eu à coeur de développer un projet de formation du personnel soignant via des ateliers de simulation, en collaboration avec une collègue de Saint-Luc, Victoire Caryn. En 2019, elles ont reçu un prix de l'Association francophone des pharmaciens hospitaliers de Belgique (AFPHB), le prix Novartis, pour acquérir du matériel audiovisuel nécessaire à ces ateliers et, en 2021, une bourse de la Fondation Saint-Luc. " Les formations continues sont essentielles mais c'est un défi pour les hôpitaux. On s'est intéressées à la simulation, une technique pédagogique innovante, un jeu de rôle qui mime une situation de la vie professionnelle dans un contexte sécurisé. C'est une manière d'apprentissage ludique qui permet de réduire l'anxiété ". Une formation a ainsi été réalisée à Saint-Luc sur le thème de la gestion d'une contamination par un cytotoxique: " Une perfusion de chimiothérapie se répand à terre: comment faire pour sécuriser la zone sans se mettre en danger? C'est une situation rare et stressante, simuler et répéter les bons gestes permet d'être prêt le jour où le problème se présentera. Malheureusement, on a dû mettre en pause le projet à cause de la crise sanitaire ". Son travail de fin d'étude, réalisé dans le cadre du Certificat universitaire en Pharmacie clinique, a conduit Marine Cillis à se pencher sur les indicateurs de qualité et la création d'un outil de benchmarking pour la pharmacie clinique. " On compare différents partenaires, on identifie le plus efficient, on essaie de comprendre pourquoi il est plus efficient et on utilise sa manière de travailler à plus large échelle afin d'améliorer les performances de manière globale (diminuer le taux de réhospitalisation, la mortalité, les effets indésirables...) ". Sur base d'une revue de la littérature, elle a choisi 10 indicateurs de qualité et les a rassemblés dans un outil de benchmarking permettant une collecte au quotidien la plus facile possible pour les pharmaciens. Ce travail a été distingué par le prix d'un poster lors du congrès de l'AFPHB en 2016. " J'ai aussi été invitée à en parler au congrès de la Société française de pharmacie clinique en 2018, et puis, à celui de l'EAHP en 2021. Ce qui boucle un peu l'histoire de cet outil de benchmarking qui a eu son petit succès ". En effet, ces 10 indicateurs ont été utilisés par le SPF Santé publique pour son rapport annuel de pharmacie clinique (obligatoire pour chaque hôpital), avant d'être mis en standby suite à la crise sanitaire. " Ces mesures quotidiennes me tiennent toujours à coeur. Comme la pharmacie clinique est encore peu développée en Belgique, elles permettent de prouver notre plus-value et de démontrer l'intérêt de notre travail aux administrateurs des hôpitaux ", assure-t-elle. C'est Anne Spinewine, responsable du Master en Pharmacie d'hôpital à l'UCLouvain, qui lui a suggéré cette idée de TFE et, heureux hasard, elle est aussi à la tête du service de pharmacie clinique au CHU UCL Namur sur le site de Godinne, là où Marine Cillis vient d'être engagée. " En avril dernier, même si j'adorais mon travail et mes collègues, j'ai décidé de quitter Saint-Luc pour raisons familiales: j'ai eu une petite fille en mai, et nous voulions vivre à la campagne et nous rapprocher de ma famille. J'ai eu la chance de trouver un poste identique, à savoir un mi-temps en pharmacie clinique aux SI et un mi-temps pour des projets liés au Comité médicopharmaceutique et à l'accréditation Canada. En plus, j'y retrouve Barbara Sneyers, une ancienne collègue de Saint-Luc, avec qui je forme un binôme de pharmaciennes cliniciennes aux SI. Par ailleurs, avoir Anne Spinewine comme supérieure c'est aussi une magnifique chance et une opportunité parce qu'elle a énormément de connaissances, de compétences, et elle a beaucoup contribué au développement de la pharmacie clinique en Belgique ". Être pharmacienne clinicienne aux SI en 2020 c'était aussi être au coeur de la tornade qui s'est abattue sur nous. " Ça a été un grand chamboulement. Pendant la première vague, j'ai surtout dû gérer les stocks. Cependant, mon expertise a été très utile parce que le fait de connaître le personnel des SI a facilité la communication avec la pharmacie et inversement, j'ai pu anticiper les problèmes ou des besoins. Le principal souci a concerné l'approvisionnement en sédatifs injectables et en curares. J'ai rédigé des fiches d'info pour les médecins et infirmières pour qu'ils puissent utiliser les alternatives médicamenteuses rapidement et de manière sécurisée. J'analysais aussi les prescriptions pour pouvoir estimer les besoins par patient. Il a fallu être flexible, souple et créative pour trouver des solutions mais nous avons toujours eu de quoi traiter nos patients ". C'est surtout pendant la première vague que le travail de Marine Cillis a changé et qu'elle a été amenée à porter d'autres casquettes: " Parfois juste logistiques, pour créer un nouveau stock de médicaments. Or, tous ces changements engendrent de nouveaux risques. Il fallait les anticiper et sécuriser le nouveau circuit des médicaments (Look-Alike, par exemple). Aujourd'hui, nous subissons une nouvelle vague, mais ce n'est pas l'effervescence que les pharmacies ont vécue lors de la première ". Dans son métier, la pharmacienne apprécie particulièrement ce partage entre tâches au résultat immédiat et projets au long cours: " J'aime participer au tour multidisciplinaire, voir les patients et analyser leurs traitements parce que cela a un impact immédiat. Par exemple, quand je peux corriger une dose ou aider l'infirmier pour administrer un médicament. Pour l'autre partie de mon travail, quand des projets aboutissent enfin après 9-10 mois, c'est une grosse satisfaction d'un coup mais il faut être patient pour y arriver. Ces deux aspects sont complémentaires et contribuent à mon épanouissement professionnel ". Pour l'instant Marine Cillis prend ses marques dans son nouvel hôpital, aux SI: " J'adore mon travail, je verrai si dans dix ans j'ai envie de voir autre chose, aller aux urgences, en cardiologie... il y a tellement de domaines d'activités possibles... "