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" Être pharmacienne, c'était un souhait depuis l'enfance. Il n'y a pas de pharmacien dans ma famille, je ne sais donc pas d'où ça vient ", explique Valérie Lacour. Si, dès son diplôme en poche (en 1994), elle travaille en officine, les hasards de la vie vont la conduire sur les chemins de la formation. D'abord à la Société scientifique des pharmaciens francophones (SSPF) où, une fois rentrée au pays après un petit détour par la France pour suivre son époux parti y travailler, elle retrouve un poste pour donner cours aux assistants en pharmacie. " C'est à ce moment-là que les choses se sont mises en place: donner des cours à la SSPF (en 2001) a fait naître mon envie et mon attrait pour la formation ". Un attrait qui ne se démentira plus puisque depuis, elle a toujours porté les deux casquettes: celle de formatrice et celle de pharmacienne d'officine. C'est ce profil mixte qui, dix ans plus tard, a aussi intéressé l'Ecole de pharmacie de l'UCLouvain qui cherchait quelqu'un pour prendre le relais de Benoît Mousset pour le cours de pratique professionnelle. " Après quelques années, j'ai repris son cours et la responsabilité des stages. J'avais changé le cours pour être plus proche de la pratique, en le centrant sur une démarche de soins pharmaceutiques, j'avais l'impression que cela fonctionnait, mais je voulais valider mon approche. En 2013, j'ai donc commencé un Master en pédagogie universitaire, étalé sur deux années. J'ai pu confronter mon cours à la théorie de la pédagogie et le faire progresser. Ça a été fabuleux. A présent, j'enseigne selon le principe des classes inversées, j'ai reconstruit tous les séminaires... Ce changement a permis de répondre à l'évolution incroyable du métier de pharmacien ". Ce défi d'enseignement réussi, Valérie Lacour en a relevé un autre: reprendre une pharmacie. En l'occurrence, celle du Square Levie à Schaerbeek. " Etre propriétaire d'une pharmacie c'était un rêve, mais c'était aussi une opportunité pour valider ce que je mettais en avant dans mes cours: à savoir le vrai rôle du pharmacien, c'est-à-dire un prestataire de soins pharmaceutiques, centré sur le patient, et le plus possible détaché de la vente parce que, pour moi, le pharmacien est tout sauf ça. Pour beaucoup de collègues, je disais cela parce que je n'étais pas titulaire et que, dans la vraie vie, quand on a la responsabilité de la gestion d'une pharmacie, mon idéal n'était pas possible! Avoir une pharmacie m'a donc permis de vérifier si je me plantais ou si c'était viable ". Résultat? Succès sur toute la ligne: " Je m'épanouis dans le titulariat de cette pharmacie de manière incroyable et j'y travaille exactement comme je le propose aux étudiants, en défendant le rôle du pharmacien. Ça marche parce que les patients sont heureux et parce que ma pharmacie évolue: au départ, je travaillais seule, avec une pharmacienne qui venait pendant que je donnais cours à l'unif. Aujourd'hui, cette adjointe travaille temps en plein, un pharmacien vient 1 jour par semaine, un autre 2 après-midi et un troisième le samedi. Et tout ça, sans faire aucune concession à l'image qu'on a du rôle du pharmacien et à ce qu'on attend de lui, à savoir des soins pharmaceutiques de qualité pour chaque patient: même si cela prend du temps et qu'il n'achète rien, c'est rentable, mais il faut jouer sur les autres paramètres (négocier une bonne marge, ne pas avoir de périmés, bien gérer son stock...) ". " Comme le Master complémentaire m'a permis de valider et de faire évoluer ce que j'avais mis en place dans mon cours, le fait d'avoir repris cette pharmacie comme titulaire m'a aussi permis de montrer que cet idéal pouvait être mis en application, même quand on a la charge du fonctionnement d'une pharmacie ", confirme-t-elle. A la question de savoir si les étudiants en pharmacie sont bien formés pour embrasser une profession en pleine mutation, Valérie Lacour reconnaît que si toutes les universités font des efforts pour adapter la formation de base et impliquer les acteurs de terrain, il subsiste quand même encore un décalage: " Vu l'évolution du métier de pharmacien d'officine, avec tout ce qu'il doit assumer comme responsabilités et services, je ne comprends pas que notre formation soit toujours telle qu'elle est, à savoir un socle de base de 5 années, suivi par une spécialisation pour faire l'industrie, l'hôpital, la biologie clinique, ou se lancer dans une thèse... Mais qu'il n'existe pas de spécialisation en officine ". " S'il y a un aspect qu'on devrait développer dans la formation, ce serait cette notion de projet: un pharmacien qui reprend une officine, doit y réfléchir. Que veut-il faire de sa pharmacie? Cela implique des notions de gestion, des compétences scientifiques, de soins pharmaceutiques... " Cette constatation du manque de cohérence entre la formation de base et les besoins actuels du pharmacien sur le terrain se double d'un manque de cohérence entre ce qu'on attend de lui et la façon dont on le rémunère. Qui va payer le pharmacien pour qu'il prenne le temps, qu'il donne les conseils adéquats et qu'il accompagne le mieux possible ses patients? Voilà la question qui se pose, estime Valérie Lacour. " On doit reconnaître que le pharmacien n'est pas là pour vendre des médicaments mais pour leur bonne utilisation. Le médicament le moins dangereux et le moins cher sera toujours celui que le patient n'a pas pris! Cette évolution est en route, de plus en plus de services sont proposés par le pharmacien et reconnus (BUM, pharmacien de référence), mais il faut continuer parce qu'ils génèrent des économies à long terme ". Quel bilan tire-t-elle, après une année de crise sanitaire? " J'ai une admiration pour les pharmaciens parce qu'ils n'ont pas hésité à rester sur le front. Et pourtant c'était dur, on devait courir dans tous les sens pour trouver ce qui manquait, on a fait des trucs inédits en allant chercher, en plein confinement, des litres d'alcool dans les distilleries... En revanche, cela m'a appris à douter des décisions politiques. J'avais peut-être tendance à me dire qu'on pouvait suivre ce que les experts disaient. Hélas, force est de constater que nous n'avons pas été bien entourés... " A l'unif, c'est le même son de cloche parce qu'il a fallu tout réinventer et tout faire en distanciel. " Cela a pris une énergie incroyable, pour un résultat qui reste moins bon que si on était avec nos étudiants, en face à face. Je suis vraiment impatiente de les retrouver... " A présent, cette force de résilience fait place à une forme d'épuisement général. " Notre métier est différent parce que les gens sont malheureux, stressés, angoissés... On prend ça dans la figure toute la journée, alors que nous-mêmes on n'en peut plus. On attend de pouvoir remettre un peu de positif dans nos relations, à la fois entre collègues et avec nos patients ", espère-t-elle. Pour Valérie Lacour, la seule manière de continuer à être pharmacien d'officine, c'est de jouer la carte des soins pharmaceutiques les plus complets et les plus qualitatifs possible: " L'énergie doit être mise là-dedans parce qu'il y a encore beaucoup d'aspects à développer, avoir une rémunération efficace par rapport à l'investissement, une meilleure concertation avec tous les professionnels de première ligne et détacher de plus en plus le pharmacien de l'acte de vente. Si je pouvais décrire le pharmacien idéal, ce serait un professionnel, bien sûr concentré sur les médicaments, mais complémentaire au métier de médecin et qui reçoit le patient après la consultation, ou pour la compliance, la prévention... dans tous ces moments, il est complètement détaché de la vente des produits ". Ces quelques réserves faites ne l'empêchent pas de nourrir encore plein de projets, son carnet fourmille d'idées à développer dans son officine, par exemple pour améliorer la littératie en santé et les liens avec les prestataires de santé, ou pour lutter contre le gaspillage.