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Parmi les nombreux facteurs qui peuvent influencer l'exposition systémique à un médicament, l'environnement (comédication, compléments alimentaires, tabac, alcool...) n'est pas le moindre. " Le style de vie peut avoir des conséquences importantes sur l'issue d'un traitement contre le cancer. Or, patients et médecins n'en sont pas toujours conscients. Dans certains cas, le comportement du patient peut mener à une forte toxicité ou à une diminution de l'effet thérapeutique. Se nourrir est également un défi dans ce contexte. Il est impossible de détailler l'effet potentiel de toutes les habitudes de vie sur l'exposition aux médicaments. Cependant, il est important de se rendre compte de leur influence potentielle ", a précisé le Pr Ron Mathijssen, oncologue et pharmacologue clinicien (Erasmus Kanker Instituut, Rotterdam, Pays-Bas) lors du 22e congrès de nutrition et santé1.Que prennent les patients à côté de leur traitement anticancéreux ? La médecine alternative et complémentaire (CAM, Complementary and Alternative Medicine) recouvre une grande variété de pratiques non conventionnelles et de produits (huile de poisson, curcuma, millepertuis, cannabis...).Pourquoi en consomment-ils ? " Parce que les problèmes comme l'angoisse et la fatigue ne sont pas bien pris en charge par les moyens réguliers, parce qu'on pense qu'ils ont des effets sur le cancer et pour prévenir les effets secondaires des anticancéreux. Ce sont surtout des femmes, jeunes, éduquées et de revenu élevé, qui sont plutôt intéressées par ces alternatives. Il faut être extrêmement prudent en raison des effets des CAM sur les cytochromes et les transporteurs de médicaments. "L'oncologue rappelle par exemple l'influence qu'exerce le millepertuis sur l'irinotecan (promédicament contre le cancer du côlon) en contrecarrant son activation dans le foie. " Après avoir fait la Une des médias, la Chambre néerlandaise a décidé qu'un avertissement devait être apposé sur tous les produits contenant du millepertuis pour 2019, mais ce n'est pas encore d'application. "" Souvent, l'effet de la combinaison d'un CAM avec un traitement conventionnel ou expérimental est totalement imprévisible, ajoute-t-il. Ainsi, pour le millepertuis, on connaît les capacités inhibitrices et inductrices de ses ingrédients, mais l'effet interactif peut être totalement différent. De plus, on pense que la durée d'absorption influence le type d'effet (d'abord inhibition, ensuite induction) sur les protéines qui métabolisent et transportent le médicament, ce qui réduit encore la possibilité de prédire la survenue de réactions indésirables.2 "Autre exemple : le cannabis médical pour lequel on a démontré que l'herbe séchée ne modifiait pas l'effet du docetaxel, mais on attend les résultats d'une étude sur l'huile de cannabis.Qu'en est-il du curcuma que l'on pare d'hypothétiques vertus anticancéreuses et très populaire, notamment chez les femmes souffrant d'un cancer du sein ?L'équipe du Pr Mathijssen a réalisé une étude clinique3 testant l'effet du tamoxifène seul (20-30mg/j), du tamoxifène + curcuma (1200mg curcumine, 3x/j), et du tamoxifène + curcuma + pipérine qui augmente la biodisponibilité du curcuma (10mg). Le tamoxifène est une prodrogue qui doit être métabolisée en endoxifène, son métabolite actif or, la curcumine peut interagir avec les enzymes et les cytochromes CYP3A4 et 2D6 et donc modifier l'exposition aux médicaments. La comparaison a montré une diminution modeste mais significative des concentrations plasmatiques en tamoxifène et en endoxifène en cas de prise concomitante de curcuma (+/- pipérine). En revanche, chez les métaboliseurs rapides pour le CYP2D6, cette différence était plus importante." En mars 2019, on a donc demandé un avertissement concernant le curcuma parce qu'il diminue l'efficacité du tamoxifène. Pour l'instant, on étudie également l'effet du thé vert sur ce médicament, les résultats sont attendus pour l'année prochaine ", indique-t-il.Aujourd'hui, la méfiance vis-à-vis du pamplemousse (valable pour tous les médicaments) est bien documentée. " On déconseille aussi l'alcool parce qu'il active le cytochrome CYP3A dans le foie et le vin rouge contient des flavonoïdes qui peuvent influencer le transport du médicament. C'est donc une combinaison dangereuse. "Pareille défiance est de mise avec l'huile de poisson et le poisson gras pendant la chimio : " On a des preuves indirectes grâce à une étude sur des souris recevant du cisplatine et de l'huile de poisson et qui ont montré une résistance par rapport à cet anticancéreux. Apparemment, cette association est problématique, on conseille d'éviter l'huile de poisson, les maquereaux et le hareng dans les jours autour de la chimiothérapie en raison de ce risque de résistance. "Enfin, beaucoup de patients cancéreux prennent des anti-acides. Cependant, ceux-ci peuvent avoir un effet négatif sur l'absorption des médicaments au niveau de l'estomac. Une solution est de prendre une boisson acide telle que le coca, comme on l'a démontré avec l'erlotinib4." Je dis toujours aux patients de discuter avec leur médecin de ce qu'ils prennent à côté de leurs médicaments conventionnels. Aucun aliment ne peux prévenir le cancer, le plus important est d'avoir une alimentation saine ", conclut le Pr Ron Mathijssen.