La génération Z (17-25 ans) a une façon bien à elle d'envisager le monde. Comment travailler avec ces jeunes et les fidéliser? Elisabeth Soulié, anthropologue et sociologue, donne quelques clés.
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Le Pharmacien: Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la génération Z? Elisabeth Soulié: J'exerce le métier de coach depuis une quinzaine d'années auprès de jeunes, notamment la génération Y (nés entre 1980 et 1995). Quand est arrivée la génération Z, je me suis rendu compte que leur manière d'être au monde étaient très différente. J'ai voulu comprendre pourquoi. J'ai alors repris des études en sciences sociales et fait un doctorat qui s'est transformé en un livre " La génération Z aux rayons X ". * Ce travail a confirmé mon intuition d'un changement générationnel, une autre façon de penser le temps et l'espace. Cette modification est liée au fait que cette génération n'a pas connu le monde d'avant le numérique, ses représentations ont été façonnées dans, par et avec la culture digitale. Comment envisagent-ils le temps et l'espace? Cette rupture numérique est anthropologique, c'est une modification de la manière d'habiter le monde. Le numérique a aboli la notion de durée. Cette génération ne vit plus le temps " Chronos ", physique, linéaire, elle vit le " Kairos ", c'est-à-dire l'instant présent, l'immédiateté, sans report de jouissance. Ces jeunes ne se projettent pas dans l'avenir. Ainsi, la notion de carrière n'existe pas pour eux. Leurs trajectoires d'expériences professionnelles sont multiples et variées, en faisant des choix de dernière minute, d'opportunité relationnelle. Que recherchent-ils dans le monde du travail? La notion du collectif est très importante, c'est lié à la manière dont ça a été façonné par le numérique. Cette génération est née avec la culture du réseau social. Cette densité relationnelle recrée une communauté, une tribu qui partage une passion, un intérêt commun. Mais une tribu c'est aussi éphémère, ouvert, intégratif (je rentre, je sors)... La génération Z appartient à de multiples communautés et déteste être seule. On sort de la notion d'autonomie et de responsabilité pour aller vers la coresponsabilité, la coopération... Il y a une forme d'injonction à vivre le collectif. Etre ensemble donne ce sentiment d'être plus fort, de pouvoir mieux faire face à la complexité du monde. Dans leur quête du sens, quelle est la place des métiers du soin? Avant de revenir sur la notion de sens, il faut prendre en compte le fait que cette génération est nomade. Elle ne se laisse pas assigner à résidence, à un métier, une identité... Elle se joue de ses multiples identités, qu'elles soient personnelles, numériques ou professionnelles: ils sont dans l'éthique de la possibilité. Tout est possible, je peux en permanence reconfigurer mes identités, mes tâches... Même s'ils décident de faire des études de médecine, ils peuvent les interrompre ou changer de voie une fois médecin. On pourrait donc se dire qu'il est paradoxal d'être en quête de sens et que les métiers du soin qui permettent d'être utile, ne les retiennent pas. C'est pour toutes les raisons évoquées plus haut et parce que, pour la génération Z, la notion du sens passe par la notion d'expérience des sens. Elle a un indicateur interne et subjectif, son indice de bien-être: comment je me sens là, maintenant, avec moi-même, les autres et l'écosystème. Ils s'ajustent en permanence à cette notion de bien-être et s'il y a un désajustement, ils vont ailleurs, vers cette éthique de la possibilité. Dès lors, comment les attirer en entreprise et les retenir? Justement par le soin et les sens. Le soin c'est la notion de " care " c'est-à-dire comment je prends soin de l'écosystème et comment il prend soin de moi? C'est une génération extrêmement émotionnelle parce que sur les réseaux sociaux, elle réagit instantanément à la production d'un contenu par des émoticônes. Ces jeunes ont des feed-back en permanence sur ce qu'ils font, disent... Ils se perçoivent d'abord comme une personne plutôt que comme un individu. Or, une personne est reliée à autrui, elle a confirmation de son existence par autrui. Donc, en entreprise, pour les attirer, il faut créer les conditions de cet épanouissement, leur faire savoir qu'il y a de la bienveillance, de l'empathie, de l'amour. Et il faut leur donner du feed-back en continu, construire du lien, collaborer... Cette notion du sens est donc fondamentale? Oui, la génération Z se sent bien parce que les relations sont bonnes, parce qu'elle est prise en considération et existe aux yeux des autres et du manager. Il est très important d'être respecté, d'être vu comme une valeur ajoutée au collectif, sinon leur indicateur de bien-être baisse. On ne peut la fidéliser que par rapport à cette notion de bien-être. Tout ceci demande une sérieuse adaptation des ressources humaines! Tout-à-fait. Même le terme 'ressources humaines' est inadapté parce que cette génération fait des liens entre l'épuisement des 'ressources' de la nature et celui des 'ressources' humaines (burnout). Ils se disent qu'ils ne sont pas une ressource, mais une valeur ajoutée. Il faudrait plutôt parler de 'relations humaines'. Quels conseils donner pour mieux appréhender la génération Z? -Il faut essayer de voir le monde avec leurs lunettes, comprendre cette jeunesse pour savoir comment lui parler, sortir de la communication pour entrer dans le dialogue. Du point de vue des entreprises, chaque écosystème va devoir trouver ses réponses (flexibilité...). Sur le plan des RH, il y a des choses simples: on ne peut par exemple pas faire des recrutements qui durent des mois, il faut garder le lien en permanence et raccourcir les process. Le premier contact RH est fondamental, ces jeunes doivent sentir dès le début qu'ils sont pris en compte. C'est fini la hiérarchie verticale, on est dans un système de pairs: " celui qui a de l'autorité sur moi c'est celui qui a de l'expérience et la partage, qui fait circuler l'information et permet l'intelligence collective ". Il y a une nouvelle manière de faire du recrutement et de manager, et tout passe par le lien qui est producteur de sens.