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Le Pr Jean-Michel Dogné (UNamur) ne pensait sans doute pas être plongé dans une pareille tourmente pour sa première participation au Comité consultatif mondial sur la sécurité vaccinale (GACVS) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) (voir notre édition du 9 mars 2020) : " Covid-19 oblige, ma première réunion à l'OMS se fera en virtuel. Avant, les sujets dépendaient de l'actualité ou de certaines affections (Ebola, malaria...), maintenant, tout est centré sur les vaccins Covid. Actuellement, une centaine sont en développement, c'est un nombre colossal de projets pour un même virus, ça ne s'est jamais vu ! ". Autre nouveauté : l'utilisation de plates-formes technologiques qui permettent de produire des vaccins avec des techniques innovantes utilisant des acides nucléiques (ARN ou ADN), même si ces techniques originales n'ont encore jamais amené un vaccin sur le marché. Jean-Michel Dogné explique que ce développement rapide exige un certain travail intellectuel pour savoir, par exemple, quelles informations laisser de côté : " A-t-on besoin de données toxicologiques répétées chez l'animal avant de passer chez l'homme ? On a décidé que non. Teste-t-on d'abord le vaccin chez des individus jeunes ou aussi chez des plus âgés ? Ce sont les questions majeures actuellement en discussion. Enfin, quels risques potentiels mesurer chez les personnes qui se feront vacciner ? On redoute particulièrement le 'disease enhancement', quand le vaccin et les anticorps produits entraînent une aggravation de la maladie plutôt que sa prévention. On travaille à des modèles non cliniques animaux qui permettraient de mettre en évidence ce type de risque lorsque ce vaccin sera éventuellement utilisé ". Aujourd'hui, 6 à 10 études cliniques sont déjà en phase 1 chez des individus sains et jeunes (20-40 ans). L'objectif principal est de mesurer l'immunogénicité (production des anticorps et efficacité). " Ces individus jeunes ne répondent pas nécessairement de la même façon que les plus âgés sur le plan immunitaire. C'est pourquoi certains souhaiteraient déjà mettre en phase 1 des individus plus âgés (>65 ans), pour avoir le plus rapidement possible des données chez les populations les plus à risque ". " Tout ce dont on discute ici ce n'est pas très grave lorsqu'on parle d'un vaccin qu'on développe d'habitude en 10 ans. Mais, en ce moment, ce qu'on veut, c'est disposer d'un vaccin en un an ", fait observer l'expert en pharmacovigilance. La problématique du développement du vaccin contre le SARS-CoV-2 est aussi tributaire de la vague épidémique : " Il est très difficile de développer un vaccin s'il n'y a plus de malades puisque vous ne pouvez plus mesurer son efficacité réelle ! ". L'autre obstacle sur lequel butte le vaccin c'est celui de la qualité de la production d'anticorps : " La réponse immune est-elle réellement protectrice ? Perdure-t-elle dans le temps ? Les données vont un peu dans tous les sens : en effet, des malades qui ont développé une réponse immunitaire sont retombés malades, on ne sait pas s'ils ont été réinfectés ou si c'est le virus qui a ressurgi ". Malgré toutes ces pierres d'achoppement, le Pr Dogné se dit assez confiant de voir arriver un vaccin, même si ce ne sera pas avant 2021 : " Par contre, quelle sera son efficacité réelle et sa durée ? Est-ce qu'il permettrait de prévenir un taux de mortalité majeure ? Le virus peut-il muter ? Aura-t-on suffisamment de doses pour vacciner des populations importantes ? Il est très difficile de répondre à toutes ces questions ". A l'Agence européenne des médicaments (EMA), le Pr Dogné fait partie de la taskforce qui évalue les informations concernant les médicaments et les vaccins, en lien avec l'AFMPS. " En Belgique, on reste relativement limité en terme de traitement, comme dans d'autres pays, puisqu'on est toujours sur l'hydroxychloroquine et le remdesivir qui, malgré des données qui peuvent parfois être contradictoires, sont ceux qui restent les plus intéressants. Pour le kaletra (lopinavir/ritonavir), les données semblent être moins percutantes ". Côté États-Unis, le 1er mai, la FDA a reconnu l'indication du remdesivir dans le cadre du Covid-19. En ce qui concerne l'hydroxychloroquine ou la chloroquine, les données vont dans différents sens selon la nature et le type de l'étude, selon l'utilisation seule ou associée à l'azithromycine. " Il est difficile de comparer toutes les études entre elles parce que les méthodologie peuvent être variables, critiquables et enfin les résultats sont parfois obtenus sur des cohortes assez limitées et non comparées. La France a lancé l'étude Discovery et l'OMS l'étude Solidarity pour comparer l'efficacité de diverses options thérapeutiques. Ici aussi, les chercheurs se heurtent à des difficultés de recrutement des patients, notamment parce qu'ils sont - heureusement - de moins en moins nombreux ", commente-t-il. Tout le monde aurait souhaité disposer dès mars d'une molécule testée et spécialement conçue contre le SARS-CoV-2. " Malheureusement, ce n'est pas le cas et, pour l'instant, il ne s'agit que d'études de repositionnement, constate Jean-Michel Dogné. L'hydroxychloroquine était par exemple utilisée pour la polyarthrite rhumatoïde ou le lupus, mais en 2003, l'hydroxychloroquine ou la chloroquine ont montré des propriétés antivirales sur certains virus, notamment le SARS-CoV-1... "