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La guerre en Ukraine ferait presque oublier les autres conflits armés dans le monde. L'histoire de Rania Aro, une pharmacienne syrienne arrivée en Belgique en 2014, nous rappelle qu'une guerre civile déchire la Syrie depuis 2011. C'est avec encore beaucoup d'émotion dans la voix qu'elle raconte les circonstances de son exil: " L'école de mes enfants avait été bombardée, puis leur club de sport.... Alors, en été, quand je suis venue rendre visite à ma soeur déjà installée à Mons, nous avons décidé de rester en Belgique, et mon mari nous a rejoints plus tard ". Après avoir obtenu le statut de réfugiée politique, elle cherche du travail. " Ma soeur avait fait un master en relations internationales à l'UMons avec le Pr Hayssam Safar qui supervise le programme d'accueil des réfugiés. C'est lui qui m'a proposé de faire un doctorat: cette idée m'a beaucoup plu parce que quand j'étais jeune, je rêvais de faire de la recherche. L'autre alternative pour obtenir l'équivalence de mon diplôme et pouvoir exercer en officine exigeait de refaire une partie des cours de pharmacie, le stage et le travail de fin d'étude. Or, je n'ai jamais travaillé en officine, je n'aime pas ça, alors que j'adore la recherche. Mon mari m'a encouragée à foncer: étant donné que ce n'est pas simple de se retrouver dans un autre pays, autant éprouver un peu de passion dans son travail. Ça n'a pas été facile parce que pendant près de quinze ans j'avais exercé loin de l'université, et là, il fallait reprendre le labo, faire des formations..., cela m'a demandé un peu de temps, mais finalement j'ai pu terminer ma thèse! * ". Sur les conseils du Pr Pierre Duez qui dirige le laboratoire de chimie thérapeutique et pharmacognosie, Rania Aro s'est penchée sur le tremblement essentiel: " J'ai étudié les causes environnementales de ce tremblement et notamment les toxines présentes dans la viande pour savoir si certaines d'entre elles peuvent affecter les patients. Pour moi, le plus important est d'avoir réussi à développer un modèle de culture 3D de neurones, qui ressemble plus aux conditions de vie réelles et qui permet d'étudier la toxicité de ces molécules ". Dans son parcours compliqué de réfugiée dans un pays inconnu, le fait d'avoir pu se consacrer à la recherche et de mener à bien son doctorat a sans nul doute été un facteur d'intégration. A Damas, au moment de choisir ses études, elle avait abandonné l'idée de faire médecine et avait rejoint la faculté de pharmacie dans l'idée de faire de la recherche et d'aider ainsi les patients de façon indirecte. Finalement, son exil lui a permis de réorienter sa carrière débutée en Syrie dans l'industrie pharmaceutique, du côté marketing et recherche de nouvelles formulations galéniques. Quand on lui demande ce qui a été le plus difficile en Belgique, Rania Aro évoque l'éloignement de ceux qui lui sont chers et les difficultés pour trouver un emploi: " Pour travailler, on a besoin de connexions or, ici, personne ne me connaissait et je ne connaissais personne dans mon domaine, mon diplôme n'était pas reconnu... Recommencer à partir de zéro demande beaucoup d'efforts. C'est toujours très difficile de quitter son pays, malgré la guerre. J'ai tout perdu, ma famille, mes amis, mon travail... " Après avoir surmonté toutes ces difficultés pour trouver son chemin, elle met aujourd'hui son expérience au service des réfugiés qu'elle rencontre. Elle a par exemple aidé une jeune Syrienne, arrivée en Belgique à l'âge de 14 ans, pour qu'elle puisse poursuivre sa scolarité dans le système général. Ou encore, elle a encouragé une autre fille venant de Palestine à s'inscrire à l'UMons pour étudier la pharmacie et obtenir son équivalence de diplôme. " J'essaie d'apporter mon aide à ces personnes parce que la Belgique est accueillante, mais pour pouvoir continuer sa vie dans ce nouveau pays, il n'y a pas assez de support, reconnaît-elle. On ne peut pas compter à 100% sur le système parce qu'il est déjà épuisé, même le Forem ne peut pas aider tous les Belges! " " Moi, j'ai eu la chance d'avoir ma soeur qui m'a mise en contact avec le Pr Safar et le Pr Duez qui était très ouvert et m'a acceptée dans son service. On a besoin d'être intégrée or c'est difficile si on n'a pas l'équivalence de son diplôme, si on ne travaille pas selon ses compétences, si on ne trouve pas de financements... J'ai aussi eu la chance de recevoir une bourse du FRMH (Fonds médical pour la recherche dans le Hainaut) et de Kangaroo (Fonds de l'UMons Health Institute). Tout cela explique pourquoi mon doctorat a pris du temps... ", ajoute-t-elle. Heureusement, si Rania Aro ne parlait pas couramment le français en débarquant de sa Syrie natale, elle l'avait néanmoins appris à l'école, de sorte qu'en arrivant ici le défi de la langue fut moindre pour elle que pour son mari, par exemple, qui ne l'avait jamais étudié. " Je sais que si on ne parle pas bien français, si votre diplôme n'est pas reconnu..., on ne peut pas s'intégrer dans la communauté. Je trouve que c'est dommage pour les jeunes de 20 ans. Or, l'enseignement, c'est le chemin! Tu apprends la langue, tu te fais des amis, c'est tout ça qui te permet de t'intégrer! " Aujourd'hui, la doctorante essaie de trouver sa place, si possible à l'UMons où elle a été assistante pédagogique en pharmacie et où elle développe un projet Erasmus d'intelligence artificielle dans le cursus de médecine. " J'aimerais rester dans la recherche fondamentale, en neurosciences ou ailleurs, et si ce n'est pas le cas, je peux chercher une place dans l'industrie, dans la R&D. Ce n'est pas facile mais je ne baisse pas les bras, je continue! ", assure-t-elle dans un sourire.