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On se doutait que la mise sur pied de guerre des généralistes et des hôpitaux pour faire face à la pandémie allait nécessairement détourner des ressources du soin des patients non-Covid et, partant, aboutir à des soins dégradés et à un risque de complication voire de décès accrus. Mais on découvre seulement aujourd'hui son ampleur grâce au travail de la Ligue des usagers des services de santé (Luss) qui rassemble 78 associations de patients. Et ce qui remonte du terrain fait frémir. " La crise a amplifié des points de rupture qu'on avait identifiés avant elle, comme des lézardes dans un mur qui s'ouvrent encore davantage. Ainsi, on peut déplorer le manque quasi total d'informations destinées aux patients vulnérables. Pénurie de médicaments, rupture de la fourniture d'oxygène, arrêt total de la prise en charge, hôpitaux inaccessibles, les patients ont tout subi sans en être avertis. Aujourd'hui encore, fin mai, de nombreux soins de santé manquent et on ne sait quand ou même s'ils vont reprendre ", explique Fabrizio Cantelli, directeur de la Luss. Il insiste : " Les centraux téléphoniques des hôpitaux sont des forteresses, on ne décroche pas ou seulement pour dire qu'on ne sait pas. Ou on promet de vous rappeler, mais on ne le fait jamais. Nous avons pourtant subi des épidémies en 56-57 et en 68, mais on n'en a manifestement pas retenu les leçons, en sabrant dans les soins de santé et en affaiblissant leur financement ", accuse Francis Delorge pour le GIPSO, association de patients psoriasis. Et parfois, ces soins " fracassés " ont fait craindre le pire. Comme pour les patients dialysés. Si les dialyses ont été assurées par les hôpitaux, la crainte d'être particulièrement exposés puisque déjà immuno-déprimés a fait rage. Et n'a pas été aidée " par un manque chronique d'informations fiables. Tous les jours, les informations disponibles changent. Comment informer fiablement nos membres si la communication officielle est absente ou versatile ? Un cluster dans le service de dialyse d'un hôpital montois tue treize patients. Tout le monde craignait de voir la chose se répéter ailleurs, mais on ignore toujours pourquoi ils ont été frappés ainsi ", explique Christelle Bregge, de l'Association de défense des insuffisants rénaux (ADIR). " Pour mon fils, la prise en charge en santé mentale s'est arrêté le 13 mars. Il ne bénéficie plus d'aucun soutien direct, sinon d'appels téléphoniques fréquents de la part des équipes de soins. On dit que le patient doit aller vers son médecin, mais c'est quasi impossible quand on souffre d'une psychose ", explique Geneviève Hermans, de Similes, une association de proches de personnes souffrant de troubles psychiques. " Il en est de même pour les patients atteints de la maladie de Huntington, une maladie dégénérative, héréditaire et sans remèdes à ce jour. Les plus aigus sont souvent admis en hôpitaux spécialisés, mais il n'y a que 45 places disponibles, alors qu'il en faudrait le triple. Le manque de trajet de soins qui associe diététicien, logopède, ergo, psy et généraliste a fait plus cruellement défaut encore durant cette période, où les patients ont été laissés à eux-mêmes. Or, particulièrement pour ces patients, les routines sont essentielles. Ils ne sont plus suivis au domicile, ce qui retombe sur les familles, épuisées, sans répit. On peut craindre un recul objectif ", explique Albert Counet pour la Ligue Huntington. Pire encore ? " Les personnes à déficience intellectuelle sont devenues invisibles. Quand elles se présentent à la porte de l'accueil de jour qui les prend en charge habituellement, la porte reste fermée. Quand est-ce qu'elle rouvrira ? Silence radio. Même l'Aviq n'en dit rien. Or ces patients peuvent basculer dans des problèmes psy importants suite à cet abandon : agitation extrême ou dépression ", explique Jean-Marc Compère (association X-fragile Europe). Invisibles aux yeux des autorités et souvent de leurs concitoyens, les patients aigus et chroniques ne sont pas restés silencieux. Avec la Luss, ils ont rencontré les ministres fédérale et régionale de la santé. Un des dossiers prioritaires étant la réforme des maisons de repos pour en faire un lieu plus participatif, où les résidents ont une part à jouer dans la gestion de leur propre environnement, où leur seul âge ne les prive pas de la fonction d'acteur pleinement engagé dans leur vie. " On pourrait écarter ces débats en disant qu'on y reviendra une fois la crise terminée, mais si ces débats ne peuvent pas avoir lieu au coeur d'une crise qui a vu des milliers de personnes mourir en maisons de repos et de soins, quand pourra-t-on les tenir ? ", insiste Fabrizio Cantelli. D'autant que la liste des dossiers urgents est longue : respect des droits du patient lors d'un tracing d'épidémie, fracture numérique, défaut de soins. La Luss termine actuellement de rassembler plus de 250 témoignages de terrain sur ces fractures qui se sont ouvertes plus largement depuis la pandémie. " Certains, maintenant, pensent à leurs vacances. Mais tourner la page de cette épidémie sans en tirer les leçons, ce serait comme tuer une deuxième fois tous ceux qui sont partis ", explique Christelle Bregge...