Les notions stéréotypées de masculinité et la méfiance médicale empêchent certains hommes de consulter un médecin, notamment pour faire les bilans de prévention.
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On parle régulièrement du fait que les femmes sont globalement moins bien prises en charge sur le plan cardiovasculaire que les hommes. Mais ces derniers sont-ils pour autant mieux traités? On peut avancer un élément de réponse en disant que les hommes n'aiment pas aller chez le médecin. S'il s'agit bien d'un cliché, il a néanmoins de sérieuses implications en matière de santé. Il est un fait que les hommes sont moins enclins que les femmes à se soumettre à des examens préventifs, à rechercher des soins médicaux en temps utile ou à se faire vacciner contre la grippe ou le covid-19. Autre fait: les hommes ont une espérance de vie plus courte que les femmes (même si celles-ci ne vivent pas nécessairement plus longtemps en bonne condition). "Bien que les raisons de cet écart soient complexes, la biologie n'en explique qu'une partie. Il y a la composante sociale. Certains hommes intériorisent avec un niveau particulier de rigidité les stéréotypes de la masculinité", estime Wizdom Powell, professeure de psychiatrie à l'UConn Health Disparities Institute (USA)[1]. Spécialiste de la santé masculine, elle s'est penchée sur les raisons pour lesquelles les hommes évitent d'aller chez le médecin. Ainsi, s'ils ne sont pas tous aussi à cheval sur leur masculinité, certains pensent que le fait de reconnaître une douleur ou de demander de l'aide signifie que "quelqu'un va leur retirer leur carte de virilité". Une attitude qui tend à s'atténuer à mesure que les hommes vieillissent et que leurs problèmes de santé s'aggravent. "Dès la puberté, le système de santé encourage les femmes à consulter régulièrement un médecin. Elles bénéficient donc d'une sorte de socialisation sanitaire précoce à laquelle les garçons et les hommes n'ont souvent pas accès, sauf lorsqu'ils pratiquent un sport et qu'ils doivent passer un examen médical. Par ailleurs, les hommes ont également tendance à se méfier davantage du système médical, et les personnes qui se méfient des médecins sont moins enclines à se faire soigner", précise Wizdom Powell. Au rang des solutions, elle propose d'inverser le scénario en disant que la façon d'être un homme dans la vie ou de se montrer comme quelqu'un de fort et de protecteur est de prendre soin de sa santé. Ainsi, aux États-Unis, le ministère de la Défense a lancé la "Real Warriors Campaign", une campagne de santé publique conçue pour réduire la stigmatisation associée à la santé mentale, amplifier les efforts de prévention du suicide, augmenter la littératie en santé et encourager la recherche d'aide psychologique. Être un "vrai guerrier" c'est donner la priorité à la forme psychologique autant qu'à la forme physique et savoir que chercher de l'aide est un signe de force. Certains traits de la masculinité incitent donc à remettre à plus tard le dépistage des facteurs de risque cardiovasculaire connus. Cependant, d'autres déterminants méritent également l'attention chez l'homme, en particulier quand il vieillit. Une étude[2] a par exemple montré que les sujets d'âge moyen qui se sentent souvent anxieux ou dépassés développent des facteurs de risque de maladie cardiaque tels que l'obésité, l'hypertension artérielle et l'hypercholestérolémie à un rythme plus rapide que leurs pairs plus sereins. Les plus inquiets avaient 10 à 13% de chances d'accumuler six facteurs de risque ou plus, ce qui aggravait les risques de maladie cardiovasculaire et d'accident vasculaire cérébral associés au vieillissement normal. Les personnes concernées devraient en être conscientes et prendre des mesures pour gérer ce risque. Par exemple, en faisant des bilans de santé de routine et en étant proactifs dans la gestion de leurs niveaux de risque de maladie cardiométabolique (prise de médicaments anti-hypertenseurs, maintien d'un poids santé...). Autre facteur de risque cardiovasculaire à suivre chez les hommes: un travail stressant et peu rémunéré peut doubler le risque de maladie coronarienne. Une étude[3] a en effet démontré que l'effet combiné de la tension professionnelle et du déséquilibre effort-récompense (salaire, reconnaissance, sécurité de l'emploi) chez les hommes est similaire à l'ampleur de l'effet de l'obésité sur le risque de maladie coronarienne. Les résultats non concluants chez les femmes nécessitent des recherches supplémentaires. Quoiqu'il en soit, ces données suggèrent que les interventions visant à réduire les facteurs de stress au travail pourraient être particulièrement efficaces chez l'homme, parce qu'ils sont associés à d'autres problèmes de santé tels que la dépression. Il pourrait s'agir de donner du soutien, de promouvoir l'équilibre vie professionnelle/vie privée, d'améliorer la communication et l'autonomisation des employés pour avoir plus de contrôle sur leur travail. Enfin, les différences entre les sexes s'étendent également à la prévention des maladies cardiovasculaires. En 2022, une étude présentée au congrès de l'European Society of Cardiology[4] a montré que les femmes et les hommes ne reçoivent pas les mêmes conseils. En effet, quand on dit aux femmes de perdre du poids, de faire de l'exercice et d'améliorer leur alimentation, les hommes se voient prescrire des médicaments hypolipémiants. Or, les recommandations pour prévenir les maladies cardiaques sont les mêmes pour les deux sexes. "Une explication est la fausse idée selon laquelle les femmes ont un risque plus faible de maladie cardiovasculaire que les hommes. Nos résultats soulignent la nécessité d'une plus grande sensibilisation parmi les professionnels de la santé pour s'assurer que femmes et hommes reçoivent les informations les plus récentes sur la façon de maintenir la santé cardiaque", commente l'auteur de l'étude, la Dre Prima Wulandari (Harvard Medical School, États-Unis).