Au cours de l'année écoulée, le contexte très spécifique de notre capitale a placé les pharmaciens bruxellois devant une foule de défis... mais dans le même temps, la crise du covid s'est également avérée porteuse d'opportunités. Rencontre avec Ann Herzeel et Julian Jehaes, coprésidents de l'Union des pharmaciens de Bruxelles.
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L'UPB-AVB est une association professionnelle aux allures d'organisation régionale en ce sens qu'elle développe un lobbying actif, explique d'entrée de jeu David Desmet, conseiller politique. "Une autre grande différence par rapport aux autres unions de pharmaciens du pays est que notre service de tarification est amené à facturer énormément aux CPAS. Les défis qui se présentent dans la capitale sont aussi d'un tout autre ordre. Cela s'explique avant tout par les spécificités de la population, avec son mélange de nationalités et de cultures. En plus, les Bruxellois sont nombreux à ne pas avoir de généraliste attitré, ce qui fait des pharmaciens la ligne de soins zéro." Julian Jehaes, pharmacien à Schaerbeek, abonde dans son sens. "À Bruxelles, en tant que pharmaciens, c'est nous qui sommes les plus proches des gens, puisqu'ils peuvent simplement pousser la porte sans avoir besoin d'un rendez-vous." Ann Herzeel se joint (virtuellement) à nous avec un peu de retard. "C'est un lundi matin typique de l'ère covid", s'excuse-t-elle. L'un des collaborateurs de son officine, située dans le quartier maritime de Molenbeek, attend le résultat de son test de dépistage après un contact à haut risque à son domicile. "Depuis le début de la pandémie, le rôle des pharmaciens a été énormément mis en avant au sein du paysage des soins bruxellois", commente-t-elle. "Notre accessibilité et notre lien de confiance avec nos patients revêtent une importance capitale, en particulier parce que l'on trouve ici quelque 130 nationalités avec chacune ses habitudes et ses usages." Heureusement, les autorités bruxelloises ont bien conscience de cette plus-value, poursuit-elle. "Prenez par exemple la vaccination covid réalisée à l'officine par un médecin - le projet Pharma-on-Tour. Là, nous pouvons vraiment faire la différence en tant que pharmaciens. L'initiative rencontre un franc succès et, indépendamment de la pandémie, elle a aussi un impact sur le taux de vaccination global. Nous espérons que nous pourrons endosser un rôle plus important et plus flexible dans ce domaine, car le risque existe que le mouvement antivax alimente la résistance aux autres vaccins, notamment pédiatriques. Ce sera un travail de longue haleine." L'espoir d'Ann Herzeel serait qu'à Bruxelles, la crise actuelle débouche sur la mise en place de soins de première ligne à l'échelon des quartiers - "par analogie avec ce que l'on a en Flandre avec les zones de première ligne, qui ont favorisé depuis leur création une collaboration beaucoup plus grande entre les différents prestataires. C'est ce dont nous rêvons pour Bruxelles. Le grand problème est en effet que, s'il existe bien un grand nombre d'organisations et de services, il reste souvent difficile d'en trouver la voie". Un autre problème auquel les coprésidents des pharmaciens bruxellois sont tous deux confrontés au quotidien est celui du fossé numérique. "Beaucoup de gens nous demandent de leur imprimer leur CST, de leur expliquer comment fonctionne l'appli CovidSafe, etc.", illustre Julian Jehaes. "Ce sont des tâches extrêmement chronophages, d'autant que certains nous rappellent par la suite parce qu'ils ne s'en sortent pas avec l'appli ou qu'ils n'arrivent pas à se connecter sur masanté. be. Au bout du compte, nous y consacrons une part considérable de notre temps." "Nous remarquons en effet qu'un nombre croissant de personnes sont complètement perdues avec les prescriptions électroniques, les certificats de vaccination ou de testing, etc.", enchaîne Ann Herzeel. "En tant que pharmaciens, nous ne disposons que d'un accès limité à certaines informations, ce qui est évidemment logique puisqu'il s'agit de données-patients. Néanmoins, nous voudrions examiner la possibilité de jouer un rôle plus important dans ce domaine à plus long terme, afin de pouvoir clarifier les choses pour nos patients. Pour l'instant, c'est vraiment un embrouillamini." Ce fossé numérique est du reste un phénomène que l'on observe aussi dans bien d'autres secteurs, notamment à mesure que les banques et les mutuelles ferment de plus en plus d'agences locales. "Tout cela appelle une réflexion, en particulier dans les grandes villes." Comment les pharmaciens bruxellois envisagent-ils leur avenir? Les projets, en tout cas, ne manquent pas... "Dans le cadre du Plan Santé bruxellois, l'accent va être davantage mis sur la prévention. Le pharmacien aura dans ce cadre un rôle plus important à jouer, par exemple pour le dépistage du cancer du côlon", explique Ann Herzeel. "Depuis que les kits de testing sont également distribués par l'intermédiaire des officines, la participation n'a cessé d'augmenter." On notera aussi l'introduction de nouveaux entretiens BUM dédiés à la polymédication et à la dépendance aux "Z-drugs". "C'est par excellence une mission pour le pharmacien, en particulier à Bruxelles. Nous ne disposons pas de chiffres précis, mais nous constatons que les personnes dépendantes aux benzodiazépines se présentent surtout pendant les gardes. Elles espèrent ainsi rester sous les radars, mais le DPP nous permet aujourd'hui d'avoir malgré tout une idée du problème." Parmi les autres projets qui se poursuivent, citons encore CareTest (pour le diagnostic du diabète), le dépistage des patients covid asymptomatiques ou encore "masque 19", une initiative de lutte contre les violences conjugales. Quoi qu'il en soit, nos interlocuteurs s'accordent à dire que 2022 s'annonce une année passionnante, avec encore beaucoup de pain sur la planche. "Le contexte bruxellois pose de nombreux défis, mais nous sommes heureusement bien valorisés et reconnus par les autorités locales. Nous sommes vraiment considérés comme des soignants et des partenaires, pas simplement comme des acteurs du secteur", souligne Ann Herzeel avec satisfaction. "Mon grand rêve serait d'avoir un agenda pour les rendez-vous, avec des consultations pour les entretiens BUM, les tests, les missions de conseil, etc. Cela permettrait d'apporter une visibilité à notre travail... et de le rémunérer à sa juste valeur."