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La crise sanitaire a remis sous la lumière et a aggravé les problèmes d'approvisionnement de médicaments et, plus généralement, de matériel médical en Europe. Si à cette occasion beaucoup ont pris conscience du problème, la députée française Nathalie Colin-Oesterlé, rattachée au groupe PPE, avait déjà initié un rapport sur ce sujet en novembre 2019, soit quelques mois avant l'arrivée du coronavirus. Les pénuries de médicaments ne datent en effet pas d'hier: entre 2000 et 2018, elles se sont multipliées par vingt au sein de l'Union européenne (UE), et par 12 depuis 2018. Une partie de ces indisponibilités est attribuée au manque d'autonomie européenne en matière de médicaments: 40% de ceux commercialisés dans l'UE sont produits dans des pays tiers et 60 à 80% des principes actifs sont fabriqués en Inde et en Chine. Délocalisation, fragilité de la production avec une concentration de l'offre entre deux ou trois usines en Asie, problèmes de grossistes répartiteurs et d'exportations parallèles, absence de visibilité et concurrence entre États membres: le tableau des pénuries est plutôt sombre en Europe. " Faute d'harmonisation des prix, des intermédiaires entre le producteur et les États membres achètent un médicament à bas prix à un endroit pour le revendre à un autre État membre où il est vendu plus cher. Les industriels sont confrontés aux exigences des États membres, des agences nationales de médicaments et de l'Agence européenne. Ils veulent plus de coopération et d'harmonisation au niveau européen pour avoir davantage de visibilité. Aujourd'hui, ils n'ont pas de connaissance réelle des stocks dans chaque État membre pour les médicaments qu'ils produisent. Ils ont le sentiment de produire suffisamment mais qu'il y a du surstockage ", indique Nathalie Colin-Oesterlé. Le 17 septembre, le Parlement européen a adopté ce rapport sur la pénurie de médicaments à la quasi-unanimité (663 voix pour, 23 contre, 10 abstentions). Pour la rapporteure, le Parlement envoie ainsi un message clair: " la santé est une priorité et la lutte contre la pénurie de médicaments en est une pierre angulaire. II est urgent de construire une Europe de la santé et je me félicite que mes préconisations aient été retenues par Ursula von der Leyen dans son discours sur l'État de l'Union ". Les propositions reposent sur trois piliers: coopération, coordination et harmonisation entre les pays de l'UE. Elles peuvent être résumées en 5 points: 1. La création d'une pharmacie européenne d'urgence pour les médicaments et vaccins prioritaires. Il s'agirait de pérenniser le mécanisme " RescEU ", à l'origine mis en place pour les feux de forêt ou les catastrophes, qui permettrait aux États membres confrontés à des problèmes de pénurie d'accéder à une réserve européenne de médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique. 2. L'assouplissement des règles nationales (sur les formats d'emballage différents, les procédures de réutilisation, des périodes d'expiration plus longues et l'utilisation de médicaments vétérinaires) en cas de crise sanitaire, afin de favoriser la circulation des médicaments entre pays. 3. L'élargissement des compétences de l'Agence européenne des médicaments, pour en faire l'autorité régulatrice, garantissant une plus grande transparence dans la chaîne de distribution et les stocks des États membres. Aujourd'hui, l'EMA gère seulement les autorisations de mise sur le marché et de contrôle de la qualité. 4. La relocalisation au sein de l'UE, quand c'est possible, de l'ensemble des lignes de production de principes actifs et de médicaments par des incitations fiscales et financières. 5. La création d'un ou plusieurs établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif capables de produire des médicaments souvent essentiels mais délaissés par les industriels par manque de rentabilité. A l'instar des pharmacies des armées qui, dans certains pays, produisent déjà des médicaments ou des vaccins jugés non rentables. " La santé publique est devenue une arme géostratégique qui peut mettre un continent à genoux. (...) Au Parlement européen, nous avons pris nos responsabilités et travaillé de concert afin d'essayer d'apporter des réponses, j'appelle maintenant les États membres à faire de même et à agir collectivement, les actions individuelles étant contreproductives. Nous avons besoin d'une véritable stratégie industrielle pharmaceutique européenne pour retrouver notre indépendance sanitaire et garantir la sécurité des patients ", a conclu Nathalie Colin-Oesterlé après le vote. En adoptant cette résolution, le Parlement salue le nouveau programme de l'UE en matière de santé, EU4Health, et demande à la Commission d'utiliser la prochaine stratégie pharmaceutique pour aborder la question de la disponibilité, de l'accessibilité et du caractère abordable des médicaments en Europe. En juin dernier, la Commission européenne a en effet lancé une consultation publique sur la stratégie pharmaceutique pour l'Europe, qui s'est terminée en septembre. Elle a porté sur l'autonomie stratégique et la fabrication des médicaments, l'accès à des médicaments sûrs et abordables, l'innovation et la viabilité environnementale et les défis en matière de santé dans l'objectif de créer un système " à l'épreuve du temps ". Les résultats de cette consultation publique serviront à préparer la stratégie pharmaceutique qui devrait être présentée cet automne et adoptée d'ici la fin de l'année.