"La lutte contre la surprescription des médicaments est indispensable à l'action en faveur du climat", a expliqué la Pre Anne Spinewine (UCLouvain) lors du congrès "Transformation durable en santé", organisé par CIPIQ-S (Collaboration internationale des praticiens et intervenants en qualité dans le domaine de la santé).*
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"20 à 25% des soins sont jugés inutiles ou potentiellement délétères. C'est énorme! Les médicaments ne font pas une exception, 10% sont surprescrits. On parle de surprescription lorsque lorsque le médicament n'est pas efficace, a un rapport bénéfice/risque défavorable ou est pris pour une durée trop longue. Plus de 50% des plus de 65 ans sont concernés ", a précisé Anne Spinewine, responsable du service de pharmacie du CHU-UCL Namur et professeure en pharmacie clinique à l'UCLouvain. Dans le secteur de la santé, les émissions sont dominées par les médicaments et dispositifs médicaux. "On peut gagner un peu sur la façon de fabriquer les médicaments, sur leur transport etc, mais la meilleure chose à faire c'est de mieux les prescrire voire de ne pas les utiliser. Par exemple, en Belgique, on est les champions de la consommation des benzodiazépines et Z-drugs. Or, leur apport bénéfice/risque est défavorable et leur efficacité limitée: ils ne font gagner que 14 minutes pour s'endormir et ne font dormir que 22 minutes de plus. La pertinence clinique est discutable. Par ailleurs, on déconseille leur usage au long cours or, des indicateurs montrent que dans plus de 95% des cas, ils sont pris depuis plus de 4 semaines..."D'où la stratégie de la déprescription pour diminuer cette surconsommation. "C'est un processus qui permet d'identifier, de réduire ou d'arrêter un médicament surprescrit dont le rapport bénéfice/risque est défavorable, c'est un processus individualisé au patient, en fonction de son objectif de vie, de son état fonctionnel, de ses valeurs et préférences. C'est aussi un must pour le développement durable. C'est un des axes sur lesquels on peut travailler, d'autant qu'il est relativement facile à mettre en place, peu coûteux et qu'il a un impact favorable sur le climat", ajoute-t-elle. La spécialiste attire l'attention sur une autre caractéristique de la déprescription: elle est aussi Evidence-Based Medicine (EBM). "Il y a de plus en plus d'études randomisées contrôlées qui évaluent l'efficacité d'arrêter un médicament. Des revues Cochrane se sont penchées sur les stratégies pour arrêter ou non dans différents domaines: antiépileptiques, arthrite rhumatoïde, démence, maladie Crohn. Tous les résultats ne sont pas favorables pour le patient mais une série d'études montrent qu'il est efficace et parfois plus sécurisé de déprescrire, par exemple pour les IPP ou les benzodiazépines. Il y a de plus en plus de données sur ce qu'on peut faire et comment le faire."Plusieurs ressources sont disponibles pour les cliniciens: les critères Stopp/Start pour la déprescription chez les 65 ans et plus ; le CBIP a un module d'elearning sur la déprescription chez la personne âgée et deux algorithmes de déprescription (IPP et benzodiazépines). "Le Canada est un pays extraordinaire à ce niveau là: il y a un réseau canadien de déprescription avec un site accessible gratuitement pour les cliniciens et les patients (reseaudeprescription.ca)."Au-delà des connaissances cliniques, il faut arriver à changer les comportements du médecin par rapport à la déprescription, et celui du patient, met en garde Anne Spinewine. "Et c'est aussi très important pour l'enseignement des futurs professionnels de santé. Or, c'est sous évalué et pas assez mis en place. L'OMS s'y est intéressée, notamment par rapport à la vaccination Covid et incite à mettre les sciences du comportement à l'agenda dans la formation des professionnels de santé, en activité et en formation."Comment arriver à changer les comportements? La spécialiste propose un trajet en trois étapes: "Il faut d'abord comprendre les barrières. Pourquoi les médecins/pharmaciens/infirmers ou les patients ne font-ils pas ce qui est recommandé? Ensuite, il faut mettre en place les stratégies visant ces barrières. Souvent le médecin anticipe le non accord du patient, or une majorité est disposée à envisager la déprescription si le praticien le propose."La Pre Spinewine coordonne actuellement deux gros projets de recherche sur la déprescription. Un projet européen, Be-Safe, qui évalue les barrières et la mise en place de stratégies pour déprescrire les benzos et somnifères chez les personnes âgées. Quant au projet Di-prescribe, c'est une action de recherche concertée, financée par la Fédération Wallonie Bruxelles, qui vise à mieux comprendre les déterminants de la participation des patients à la déprescription ; à mieux y préparer les futurs professionnels de la santé (médecins, pharmaciens, infirmiers) ; et à tirer parti des leviers au niveau des politiques de santé. Elle relève trois leviers pour faire évoluer les comportements de déprescription: "Il y a d'abord la prise de décision partagée patient/médecin. Il faut pouvoir travailler en équipe avec le patient lorsque cela s'y prête. Ensuite, il y a l'approche collaborative et l'interprofessionnalité: je suis convaincue qu'on avancera plus vite ensemble, médecin, pharmacien, infirmier", insiste-t-elle en rappelant le projet pilote financé par l'Inami sur la déprescription des benzodiazépines et le remboursement des magistrales pour un sevrage progressif. "Ce genre de démarche permet de lever certaines barrières à la déprescription. L'Inami a dû augmenter son budget parce que ce projet a eu beaucoup de succès, mais il est encore trop tôt pour connaître les résultats en terme de consommation de benzos.""Enfin, bien déprescrire c'est avant tout bien prescrire (ou ne pas prescrire). C'est tout un enjeu parce qu'il est parfois plus difficile de ne pas prescrire que de prescrire. Le corps médical et la population générale ont tendance à surestimer les bénéfices qu'on peut vraiment attendre des médicaments", conclut-elle.