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À présent que les remous de l'affaire Pia se sont quelque peu apaisés, le temps est venu de mener une réflexion moins marquée par l'émotion et qui laisse plus de place à l'analyse rationnelle. L'histoire a suscité en Flandre et même dans toute la Belgique une vague massive de solidarité. Une belle générosité qui fait chaud au coeur et qui est sans doute aussi la principale leçon à en tirer. Reste qu'il est aussi certain qu'on n'est pas forcément toujours mieux servi par soi-même. Dans ce cas concret, il aurait été possible de dépister l'amyotrophie spinale (AMS) de Pia juste après sa naissance, comme cela se fait déjà dans le Sud du pays par le biais d'une simple piqûre au talon. Rapidement posé, le diagnostic permet en effet de prévenir une évolution dramatique. Si la Wallonie dépiste aujourd'hui une série de maladies métaboliques, c'est parce qu'elle a accepté l'offre de trois firmes pharmaceutiques d'apporter leur soutien à un projet-pilote de trois ans. La Flandre a refusé, ce qui explique pourquoi, au contraire du Sud du pays, elle ne dépiste actuellement pas l'AMS. Bien sûr, le ministre en charge de la santé à l'époque, le CD&V Jo Vandeurzen, avait ses raisons : garantir la continuité du screening après les trois ans du projet-pilote aurait demandé des moyens (publics) dont il ne disposait pas. Une position somme toute compréhensible, mais qui n'avance évidemment guère les parents dans ce cas spécifique.Bien sûr, la problématique du nombre croissant de médicaments orphelins hors de prix va bien plus loin que ce dossier ponctuel. Cela fait plusieurs années déjà que l'accent de la recherche pharmaceutique s'est déplacé des blockbusters vers de coûteux produits de niche qui ne bénéficient qu'à une poignée de patients - une évolution qui place les chercheurs, l'industrie et le budget des médicaments face à des défis colossaux. L'histoire de Pia ne l'illustre que trop bien : 1,9 million d'euros pour une seule piqûre qui ne permettra probablement même pas de limiter les dégâts.Il est néanmoins frappant de constater combien les solutions avancées par les experts, par le cabinet De Block et par l'industrie sont largement similaires : au-delà de nuances parfois différentes, les grandes lignes sont claires. Tout le monde s'accorde par exemple sur la nécessité, pour les autorités, de développer leurs activités d' " horizon scanning " - en d'autres termes, d'entrer en dialogue avec les entreprises à un stade précoce du développement des médicaments afin de savoir ce qui se prépare, pour quel groupe-cible et à quel prix attendu. Une telle démarche doit permettre d'anticiper et d'agir rapidement, par exemple en optant pour un système d' " usage compassionnel " dans le cadre duquel un médicament en attente d'approbation peut déjà être utilisé moyennant le respect de conditions très strictes. Dans le cas de Pia, l'entreprise a choisi pour des raisons incertaines de ne pas appliquer cette possibilité... et en tout état de cause, il est du reste certain que la notion d' " usage compassionnel " devrait être clarifiée dans le futur.Un meilleur " horizon scanning " permettrait aussi aux autorités d'étaler le financement d'un médicament coûteux sur plusieurs années. S'il s'avère en cours de route que la molécule ne tient pas ses promesses, elles pourront interrompre les paiements voire éventuellement réclavoire éventuellement réclamer un remboursement des sommes déjà versées. Une variante du " pay for performance " dont le principe sous-jacent est très clair : les pouvoirs publics sont prêts à couvrir des traitements coûteux, mais uniquement à condition que les résultats soient au rendez-vous.Maggie De Block va également remettre le statut des médicaments orphelins sur le tapis à l'échelon européen. Élaboré il y a près de deux décennies, celui-ci garantissait notamment aux entreprises dix ans d'exclusivité de marché. Au vu des prix de plus en plus astronomiques, le mécanisme mériterait toutefois d'être revu... mais, pour l'heure, aucun changement n'est encore en vue. Il nécessite en effet une collaboration internationale qui, on le sait, ne se met jamais en place du jour au lendemain.Cette collaboration n'en reste pas moins la piste la plus prometteuse pour les autorités nationales. La majorité des firmes pharmaceutiques sont en effet des multinationales qui possèdent des sièges dans nombre de capitales et, pour faire contrepoids, les États individuels (en particulier lorsqu'ils ont la taille de la Belgique, des Pays-Bas ou du Luxembourg) ont tout intérêt à unir leurs forces. C'est déjà le cas à l'heure actuelle, mais ce mécanisme devrait encore être développé.Morale de l'histoire : le remboursement de médicaments orphelins coûteux est un dossier complexe aux multiples facettes... et c'est bien pour cela que, en dépit de tous les efforts, des histoires comme celle de Pia continueront inévitablement à défrayer la chronique à intervalles réguliers.