...

Les personnes les plus sévèrement touchées par le coronavirus sont les personnes âgées présentant des comorbidités telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires et l'hypertension. Pour le traitement de l'hypertension, mais aussi pour certaines maladies cardiaques ou rénales, des inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) sont souvent utilisés. Il peut s'agir d'inhibiteurs de l'ACE ou de sartans. Le virus SARS-CoV-2 pénètre dans les cellules via l'enzyme ACE2, liée à la membrane cellulaire, qui fait partie du SRAA. C'est ainsi qu'il y a quelques semaines, l'on a avancé l'hypothèse selon laquelle les inhibiteurs du SRAA pourraient aggraver le Covid-19, déclare la Pr De Backer. Pour comprendre comment cette hypothèse s'est présentée, il est important de se pencher sur le mécanisme d'action du SRAA, qui se compose d'un réseau particulièrement complexe d'enzymes et de peptides régulateurs et contre-régulateurs. D'une part, l'enzyme ACE1 convertit l'angiotensine I en angiotensine II, laquelle fait augmenter la tension artérielle. D'autre part, l'enzyme ACE2 convertit l'angiotensine II en angiotensine 1-7, de sorte que la tension artérielle diminue à nouveau. Les inhibiteurs de l'ACE et les sartans agissent sur l'angiotensine II, en bloquant, respectivement, sa formation et sa liaison à son récepteur. Dans certains modèles animaux, il a été démontré que les inhibiteurs du SRAA peuvent également provoquer une augmentation du taux d'ACE2 dans les tissus. Cette observation n'a toutefois pas pu être confirmée dans d'autres modèles animaux. Les données chez l'homme sont très peu nombreuses : les seules disponibles concernent le taux plasmatique d'ACE2, qui ne reflète pas l'activité de l'ACE2 liée aux membranes de manière entièrement fiable. En outre, l'importance de l'ACE2 peut également différer selon le type de tissu et il paraît probable que tous les inhibiteurs du SRAA n'exercent pas le même effet sur l'ACE2. Néanmoins, cette observation d'une expression accrue de l'ACE2 chez des animaux de laboratoire a conduit à deux hypothèses très différentes. L'expression de l'ACE2 est largement répandue dans l'organisme et se manifeste surtout sur les cellules épithéliales alvéolaires des poumons, du coeur et des reins. Le virus SARS-CoV-2 utilise les récepteurs de l'ACE2 pour pénétrer dans ces cellules. C'est pour cette raison qu'il y a quelques semaines, certaines personnes ont commencé à supposer que les inhibiteurs de l'ACE et les sartans facilitaient et aggravaient l'infection au Covid-19, en augmentant l'expression de l'ACE2. Il s'agit toutefois d'une pure hypothèse. Il n'existe pas de données cliniques indiquant que c'est effectivement le cas. Cette supposition a toutefois fait beaucoup de bruit et causé une grande inquiétude en ce qui concerne l'utilisation des inhibiteurs du SRAA. À l'issue d'une évaluation approfondie, des associations professionnelles, mais aussi des autorités de réglementation, ont toutefois estimé qu'il n'était pas nécessaire d'arrêter soudainement le traitement par sartans ou inhibiteurs de l'ACE à cause de la pandémie. Cet arrêt serait plutôt dangereux. Chez les patients atteints d'hypertension, un traitement de substitution pourrait être envisagé, bien que les directives préconisent les inhibiteurs du SRAA comme premier choix. En revanche, pour les patients souffrant d'un infarctus du myocarde, d'une cardiomyopathie dilatée ou d'une insuffisance cardiaque, les inhibiteurs du SRAA constituent la pierre angulaire du traitement et sont essentiels. Chez les patients hospitalisés gravement atteints par le Covid-19, l'arrêt temporaire des inhibiteurs du SRAA est néanmoins parfois envisagé. La raison n'est pas tellement l'interaction présumée avec le virus, mais plutôt le tableau clinique global du patient. Une autre hypothèse, concernant l'effet protecteur de la prise d'inhibiteurs du SRAA, a également été émise. Lorsque le virus se lie à l'ACE2, puis pénètre dans la cellule, l'ACE2 est en effet régulée à la baisse par endophagocytose du récepteur. Cette expression réduite de l'ACE2 pourrait être néfaste, car elle protège contre les effets négatifs de l'activité continue de l'angiotensine II tels que la vasoconstriction, l'hypertrophie et la fibrose. Selon l'hypothèse, l'administration d'inhibiteurs du SRAA et la régulation à la hausse de l'ACE2 pourraient permettre de réduire l'activité de l'angiotensine II. Les lésions des tissus pulmonaires et cardiaques pourraient ainsi être limitées. Cependant, aucune preuve concrète n'étaye cette hypothèse. Actuellement, des études cliniques sont mises en place afin d'examiner si le losartan pourrait avoir une action favorable en cas de Covid-19. Par ailleurs, une étude clinique en cours examine si l'administration de la protéine recombinante ACE2 peut permettre de prévenir les lésions tissulaires en cas de Covid-19. La problématique de l'ACE2 est probablement encore beaucoup plus complexe, affirme la Pr De Backer. Nous avons déjà abordé son action au sein du SRAA, mais l'ACE2 est également impliquée dans la dégradation de la bradykinine, un peptide qui joue un rôle dans la dilatation et la perméabilité des vaisseaux sanguins. Un taux accru de bradykinine peut provoquer une fuite vasculaire qui pourrait en partie être à l'origine de l'accumulation de liquide dans les poumons des patients atteints du Covid-19. Des recherches sont également menées afin de déterminer si des inhibiteurs de la bradykinine peuvent protéger ces patients contre l'oedème pulmonaire. La Pr De Backer insiste sur le fait que dans les deux cas, il s'agit d'hypothèses déduites à partir des connaissances actuelles sur le fonctionnement du SRAA. Elles ne peuvent être confirmées ou infirmées qu'au moyen d'études scientifiques. Des études cliniques complétées par des études épidémiologiques observationnelles devraient permettre d'apporter une réponse. D'ici là, nous devons admettre que nous ne savons pas ce qu'il en est exactement. À l'heure actuelle, toutes les directives affirment néanmoins qu'il n'existe aucune raison d'arrêter le traitement par inhibiteurs du SRAA à cause de la pandémie de Covid-19 chez les patients cliniquement stables.South AM et al. Nat Rev Nephrol (2020)