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"Il faut se préparer à une délivrance de benzodiazépine (bzd) : prenez le temps de consulter les outils disponibles et de choisir ce que vous allez utiliser. Il faut que tout soit prêt quand le patient est devant vous : brochures, dépliants, carnet d'adresses, sites web... Il faut prendre le temps pour informer, sensibiliser, orienter. Sachons nous centrer sur le patient pour être partenaire de son changement plutôt que de se positionner comme expert ", explique Valérie Lacour, pharmacienne et maître de conférence à l'UCLouvain.*Cette situation est idéale pour faire de la prévention : " Elle est plus confortable que les autres moments donc, allez y, mettez le paquet !, insiste-t-elle. Sans diaboliser les benzos, ni faire paniquer les patients. Il faut d'abord bien comprendre l'opportunité de la prescription : est-ce un problème de sommeil ? De deuil ? De sevrage alcoolique ? Le médecin attend-il que l'antidépresseur fasse de l'effet ?... Si vous avez compris pourquoi le patient prend une bzd, vous saurez comment adapter vos conseils ".Ensuite, c'est le moment d'expliquer le risque de la dépendance qui survient malgré soi : " Si vous ne voulez pas rentrer dans ce cercle vicieux, il faut que l'usage soit le plus limité dans le temps, avec la dose la plus faible possible ". Sans oublier de mentionner le risque pour la conduite, le risque de chute (réveil nocturne) et l'effet de l'alcool.Pour Valérie Lacour, il faut bien faire comprendre au patient que les benzos sont des solutions pour essayer d'améliorer des symptômes, mais qu'elles n'arrangent rien en profondeur. " C'est là que nos recommandations non médicamenteuses sont importantes. Mais il ne suffit pas de dire qu'il faut bouger, bien dormir, bien manger, tout le monde le sait. Il faut du concret : il y a des outils pour dépasser le stade des bons conseils de grand-mère ! "Comme par exemple une brochure canadienne qui permet d'entamer le dialogue avec les patients : " Vous avez du mal à dormir, essayons de l'objectiver : combien de temps passez-vous au lit et combien de temps dormez-vous ? Si le ratio est >85%, pas d'inquiétude, s'il est <85%, un journal du sommeil permettra de voir ce qui cloche et comment l'améliorer ".La campagne 'somnifères et calmants' du spf Santé publique propose également des outils : "J'invite à aller voir les manuels d'aide pour les médecins et pour les pharmaciens et à y piocher ce qui paraît important en fonction de sa patientèle et de ses besoins. Il y a des fiches qui permettent aux patients de s'auto-évaluer, il y a des pistes pour aborder les options non médicamenteuses et pour être plus autonome dans la gestion de son sommeil".En ce qui concerne les problèmes d'angoisse, la pharmacienne propose d'élargir son carnet d'adresses afin d'orienter le patient (thérapies cognitivocomportementales, cliniques de l'anxiété et de gestion du stress...).Enfin, c'est aussi le moment de penser aux petits conditionnements (10 ou 20 comprimés) qui existent pour certaines benzos. " Surtout suivez la prescription du médecin : s'il a mis 'petite boîte', ne donnez pas une grande ! ".Viennent ensuite les situations plus ou moins complexes où le pharmacien se rend compte que le patient surconsomme, fait du shopping médical/pharmaceutique, présente une fausse prescription... " Ici aussi, il faut pouvoir jouer son rôle d'accompagnement, met-elle en garde. Premier principe : le sevrage brutal est catastrophique, donc on veille à la continuité du traitement. Cela ne veut pas dire que chaque fois que le patient dit qu'il va aller chez le médecin, on continue d'avancer une boîte. J'accompagne, je sensibilise : chaque personne dépendante est dans un cercle où, à certains moments, elle est très satisfaite de sa situation et puis, à d'autres, elle a des doutes, une angoisse... Là, je peux l'accrocher. Il faut continuer à informer, à proposer des pistes. Ce qui est compliqué c'est que si on se met dans une position d'expert, on se plante : nous sommes un partenaire du chemin du patient, le seul qui peut changer quelque chose c'est lui ".Parmi les outils, une brochure créée pour le patient au Canada a fait l'objet d'une étude dans 30 pharmacies : la moitié a continué à sensibiliser les patients comme d'habitude, l'autre moitié a envoyé par la poste cette brochure aux patients sous bzd en les incitant à en parler au médecin ou pharmacien. Résultats : 67% des patients du groupe qui a reçu la brochure en ont parlé au pharmacien ou au médecin et, 6 mois après l'envoi, 27% avaient arrêté leurs benzodiazépines et 15% avaient diminué la dose et ceci, grâce à une intervention minimale. Du coup, on a adapté cette brochure à la Belgique (en français et en néerlandais)".Dans le cas d'abus, de fausse prescription, le rôle du pharmacien consiste aussi à le signaler à l'inspection de la pharmacie, dans le respect du secret professionnel.Valérie Lacour rappelle aussi la Toolbox créée par l'APB sur les principes de base du secret professionnel et l'outil réalisé par l'Ordre des pharmaciens (via codes d'accès) sur les mésusages du médicament.Comment réaliser un sevrage des benzodiazépines ? " Il y a quelques principes de base : tous les patients ne sont pas concernés, le sevrage doit être progressif, il peut durer plusieurs mois voire années, et il ne pourra réussir que si le patient est motivé ".Enfin, il faut personnaliser en fonction du degré de dépendance (dose thérapeutique, haute dose, dose illicite ou récréative), de la durée d'action de la bzd, de son indication... " Il y a autant de méthodes de sevrage que de patients : avec ou sans passage à un équivalent de bzd à longue durée d'action (dia-zépam...), avec ou sans ajout d'un médicament de secours pour compenser certains symptômes de sevrage (valproate...). Le suivi est primordial et, lors de la réduction des doses, il ne faut pas hésiter à rester à un même palier si le patient a trop difficile. Le but est de ne surtout jamais revenir en arrière ! ", conclut Valérie Lacour.