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"Les tampons et serviettes hygiéniques ne sont pas des produits de luxe", martèle Leen Feys, titulaire de l'officine Lloyds Pharma sur la Grand-Place de Deinze. Malheureusement, dans les faits, il serait sans doute plus juste de dire qu'ils ne devraient pas être des produits de luxe, car la réalité est nettement moins rose. Dans une enquête réalisée en Flandre par Caritas à l'automne 2019, 12% des jeunes filles et jeunes femmes de 12 à 25 ans déclaraient ne pas toujours avoir les moyens de s'offrir des protections menstruelles... et parmi les répondantes vivant dans une situation de "privation matérielle", cette proportion atteignait même près de la moitié! Dans certains cas, cette précarité menstruelle peut malheureusement s'accompagner d'un absentéisme scolaire plus ou moins régulier. "Ce sujet et ces chiffres m'ont vraiment touchée", souligne la pharmacienne. "En tant que jeune maman et en tant que femme, je trouve cela atroce que certaines jeunes filles ou jeunes femmes doivent rester chez elles parce qu'elles n'ont pas les moyens de s'acheter des tampons ou serviettes. Indépendamment des témoignages belges, j'ai aussi eu l'occasion de voir un reportage qui évoquait l'exemple de l'Écosse, où ces produits sont mis gratuitement à la disposition de toutes. Cela m'a donné envie d'agir." Le fait de voir passer au quotidien devant sa porte les jeunes des écoles secondaires de Deinze a été pour elle une motivation supplémentaire à joindre le geste à la parole. À son retour de congé de maternité, la jeune maman a interpelé la direction de Lloyds Pharma qui a accepté son idée sans hésitation. "J'ai aussi contacté le supermarché local, qui a apporté son soutien au projet. J'ai donc commandé un certain nombre de kits que les gens peuvent venir se procurer à l'officine." Comment cela se passe-t-il concrètement? "Chaque kit contient un paquet de tampons et de serviettes dans un sachet sans signes distinctifs, que les jeunes filles ou leurs mamans peuvent venir chercher gratuitement au comptoir. Il n'est pas nécessaire de réserver au préalable." Quid du risque d'abus? "Le fait de devoir pousser la porte de la pharmacie et demander représente déjà, en soi, un seuil à franchir pour ces personnes. Nous les croyons donc sur parole, sans poser de questions." Pour assurer une visibilité supplémentaire à son initiative, Leen Feys a aussi contacté la presse locale. Dès le lendemain, j'ai été invitée à en parler en live sur radio 2", explique-t-elle. "Je n'avais pas du tout prévu que tout se passerait si vite et je ne m'attendais pas non plus à ce que mon projet suscite un tel intérêt médiatique... mais comme c'était pour la bonne cause, cela me semblait justifié." Le magazine interne de Lloyds Pharma a aussi relayé son initiative. "Jusqu'ici, à ma connaissance, elle n'a toutefois pas encore fait d'émules au sein du réseau ou au-delà." De nombreuses asbl et groupes de discussion ont par contre invité la pharmacienne à venir exposer son projet. "Je ne peux malheureusement pas accepter toutes les demandes - je l'ai dit, mon objectif n'était absolument pas de faire connaître notre pharmacie, juste d'apporter notre petite pierre à une problématique qui m'a interpelée en proposant une solution concrète." Dans la foulée de l'action lancée par Leen Feys, plusieurs pharmacies locales ont tout de même eu l'idée d'ouvrir des points de collecte où les femmes ménopausées depuis peu peuvent venir déposer les serviettes et tampons dont elles n'auront plus besoin. "J'ai aussi entendu dire que les écoles locales ont commencé à proposer elles-mêmes des protections menstruelles à leurs élèves." On pourrait se dire que ce ne sont que des gouttes d'eau dans l'océan, mais la pharmacienne a le regard qui s'éclaire lorsqu'elle en parle. "J'avais espéré susciter plus de réactions au niveau de la commune ou de la région, mais jusqu'ici, l'idée n'a pas été reprise." Entre-temps, un certain nombre de kits ont déjà trouvé preneuse. "Je dirais que nous avons distribué environ la moitié de ceux que j'avais commandés, le plus souvent à des mamans qui viennent les chercher pour leurs filles. Dans l'intérêt de leurs enfants, elles n'hésitent pas à surmonter leur éventuelle gêne." Jusqu'à présent, la pharmacie a donc distribué cinq paquets de protections menstruelles. Peut-on dire que c'est beaucoup, ou au contraire plutôt peu? "Je me suis lancée dans cette action sans réelles attentes, en me disant que je ne voulais pas rester les bras croisés et qu'on verrait bien ce que cela donnerait. Nous ne nous sommes pas non plus fixé d'échéances. Une fois écoulé notre stock initial, nous envisagerons la suite." La jeune pharmacienne observe aussi plus largement une évolution frappante dans le comportement de ses clients. "La plupart des personnes que nous voyons passer à l'officine ont déjà un certain âge. En dix ans d'activité, j'ai remarqué qu'elles se renseignent de plus en plus sur les prix voire suggèrent elles-mêmes un "produit blanc". J'ai vraiment l'impression que les gens sont de plus en plus attentifs à leur budget... et avec l'augmentation du coût de la vie et des prix de l'énergie, je ne serais pas étonnée que le problème auquel nous cherchons à répondre avec notre action gagne en importance dans le futur."