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Aux Pays-Bas, la consommation totale de médicaments est estimée à environ 3,5millions de kilos par an et fait intervenir un peu plus de 2000 principes actifs différents. D'après le RIVM, l'institut néerlandais pour la santé publique et l'environnement, au moins 140 tonnes de principes actifs en provenance de ces produits pharmaceutiques aboutiraient dans les eaux de surface après avoir transité par les égouts. En Flandre, ce chiffre s'élève à environ 30 tonnes au total pour les 23 médicaments suivis par la VMM, la société flamande en charge de l'environnement. L'élevage et la pollution générée à l'étranger qui arrive chez nous au fil des rivières portent toutefois également une part de responsabilité dans cette pollution des eaux de surface. Le secteur de l'élevage, en particulier, tend parfois à user et abuser d'antibiotiques, dont une partie aboutit dans le sol au travers du fumier et se retrouve ensuite dans les eaux de surface ou souterraines au fil des averses.Les eaux usées contaminées par des médicaments qui se retrouvent dans nos égouts proviennent principalement des ménages (consommation des patients à leur domicile) et des hôpitaux. Conscients du problème, certains établissements de soins belges ont déjà pris l'initiative de mettre en place un système d'épuration rudimentaire qui purifie partiellement l'eau avant de la déverser dans les égouts, mais ils restent plutôt l'exception que la règle.Les eaux usées filent ensuite en première instance vers les stations d'épuration régionales (SER), qui visent toutefois plutôt l'élimination ou la dégradation des matières organiques et nutriments que des micropolluants contenus dans les selles et les urines.Bon nombre de médicaments peuvent néanmoins déjà être extraits par ce traitement " ordinaire " et se retrouvent donc dans les boues d'épuration. Certaines molécules sont toutefois plus difficiles à éliminer, par exemple à cause de leur caractère hydrofuge, et aboutissent donc dans les eaux de surface avec les effluents des stations d'épuration... alors qu'une partie d'entre elles et des métabolites qui se forment au cours du processus d'épuration peuvent encore être bioactives. Parmi les médicaments difficiles à éliminer par les SER, citons notamment des anti-épileptiques comme la gabapentine, la carbamazépine et la primidone, un antidépresseur comme le diclofénac et des bêtabloquants comme le métoprolol et le sotalol.Sans surprise, les médicaments se retrouvent donc largement dans nos cours d'eau. Comme le degré d'épuration varie en outre d'une SER à l'autre, il y peut toutefois y avoir d'importantes différences régionales en termes de pollution par les médicaments. La région densément peuplée au nord du sillon Sambre et Meuse, par exemple, est clairement un point chaud à cet égard.Il convient toutefois de préciser que les recherches réalisées dans ce domaine ne s'intéressent qu'à une fraction des principes actifs potentiellement présents, de telle sorte que l'on ignore à quelles concentrations la majorité des médicaments se retrouvent dans les cours d'eau. Certaines études en donnent néanmoins une indication et mentionnent des chiffres de l'ordre d'un microgramme par litre dans les eaux de surface, avec des pics à 10 ?g. En Wallonie, cette concentration va de 1 à 10 ?g/l pour 18 produits étudiés et reste inférieure à 1 ?g/l pour 18 autres ; en Flandre, la moyenne pour les 23 substances qui font l'objet d'un suivi est d'environ 3 ?g/l. Ces chiffres sont comparables à ceux observés dans d'autres pays d'Europe.Les concentrations sûres n'en sont pas moins régulièrement dépassées pour un certain nombre de substances - un risque écologique potentiel qui concerne principalement le diclofénac (et la venlafaxine dans une moindre mesure) en Wallonie et la clarithromycine, le diclofénac et le sulfaméthoxazole en Flandre.L'Europe n'a pas fixé de normes environnementales pour la présence de médicaments dans les eaux de surface, mais l'exposition des plantes et autres organismes à ces substances n'est pas pour autant sans conséquences et peut même déboucher sur une dégradation (locale) de la qualité écologique. Certains médicaments particulièrement persistants risquent par exemple de s'accumuler, avec à la clé une augmentation progressive de leurs concentrations aux échelons supérieurs de la chaîne alimentaire.Des études ont fait état de problèmes de léthargie chez de petits crustacés exposés à des quantités microscopiques d'anti-épileptiques, de poissons désinhibés dans des eaux contaminées au Prozac ou victimes de dommages tissulaires liés à la présence excessive d'antalgiques. Les effets écologiques sur le terrain restent toutefois largement inexplorés et les spécialistes n'ont guère levé jusqu'ici qu'un tout petit coin du voile.Avant d'aboutir dans nos robinets, l'eau de distribution subit un traitement approfondi, qui réduit considérablement les quantités de médicaments présentes dans l'eau de surface ou souterraine utilisée comme source.Néanmoins, les techniques de purification actuelles ne suffisent pas à éliminer complètement les traces de ces produits à cause de la grande diversité de leurs propriétés physicochimiques. D'après des mesures réalisées aux Pays-Bas, les concentrations de médicaments dans l'eau potable sont généralement inférieures à 0,05 ?g/litre ; en Flandre, la moyenne est inférieure à 0,1 ?g/l pour les 102 médicaments faisant l'objet d'un suivi (2017). Ces quantités sont considérées comme sûres et suffisamment faibles pour ne pas avoir d'impact sur la santé, même en tenant compte de la toxicité globale du mélange.Vieillissement et médicalisation croissante de notre société aidant, la pression sur les cours d'eau et sur l'eau potable ne peut malheureusement que continuer à augmenter dans les années à venir. Le changement climatique risque en outre de venir mettre son grain de sel dans l'histoire, puisque les années très sèches s'accompagnent d'une évacuation plus faible des polluants par le biais des rivières et peuvent donc déboucher sur des concentrations accrues dans les eaux de surface. D'aucuns craignent même que ceci n'impose de suspendre temporairement la production d'eau potable... et de plus en plus de voix s'élèvent donc en faveur de l'introduction d'une étape de purification supplémentaire et/ou de mesures plus poussées dans les zones à problèmes.Ajoutons que plusieurs nouvelles techniques de production d'eau potable sont actuellement en développement ou même à l'essai dans le cadre d'initiatives pilotes. Les meilleurs résultats sont obtenus en combinant une technique d'oxydation comme le traitement à l'ozone et une technique d'adsorption comme la filtration au charbon actif.Bien des mesures peuvent toutefois également être prises sur le plan préventif - par exemple en insistant auprès des consommateurs pour qu'ils respectent scrupuleusement les instructions pour la prise de leurs médicaments, pour qu'ils terminent leur cure d'antibiotiques jusqu'au bout ou pour qu'ils rapportent les produits non utilisés à la pharmacie. Les jeter dans les toilettes ou dans l'évier, comme cela se fait encore trop souvent, est formellement déconseillé !