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Augmentation des températures, multiplication des événements météorologi- ques extrêmes... Les conséquences sanitaires du dérèglement climatique se conjuguent à celles de la globalisation. On pense souvent aux effets sur les systèmes cardio-vasculaire et respiratoire mais le système visuel n'est pas en reste. En janvier dernier, la Société Française d'Ophtalmologie (SFO) a attiré l'attention des professionnels de la santé sur la hausse des cas d'infections oculaires observée ces dernières années dans le monde. "C'est lié aux échanges internationaux, à la résistance aux antibiotiques, aux changements environnementaux et climatiques, qui augmentent le risque de pathologies infectieuses oculaires dans certaines régions jusqu'alors épargnées", a expliqué le Pr Marc Labetoulle, ophtalmologue à l'hôpital Bicêtre (Paris) et secrétaire général de la SFO. Toutes les parties de l'oeil et toutes les catégories d'âge sont concernées, a-t-il précisé: "Les zones les plus affectées sont la conjonctive (conjonctivite), la cornée (kératite), l'iris (uvéite antérieure) et la rétine (rétinite). On retrouve aussi la papillite (qui touche le nerf optique), la sclérite (la sclérotique), l'hyalite (le vitré), la choroïdite (la choroïde), la blépharite (les paupières) et la dacrocystite ou dacryoadénite (les voies lacrymales). Les infections potentiellement les plus graves sont celles qui touchent les tissus directement impliqués dans la vision (à savoir la cornée, le vitré, la rétine et le nerf optique) et peuvent compromettre définitivement la fonction visuelle."Le changement climatique impacte donc l'incidence et la propagation des maladies infectieuses oculaires, en particulier celles transmises par les tiques et les moustiques. On parle ici des arboviroses, à savoir les infections virales transmises par ces arthropodes hématophages. Il s'agit surtout de pathologies tropicales (dengue, chikungunya, Zika...), mais elles s'invitent de plus en plus fréquemment en Europe et en Amérique du Nord. L'expansion de la zone endémique des arboviroses s'explique notamment par l'accroissement des territoires infestés par les moustiques appartenant au genre Aedes dont Aedes albopictus (moustique tigre) désormais présent en Belgique. Sa progression est qualifiée d'inquiétante par Sciensano et l'Institut de médecine tropicale (IMT) d'Anvers qui encouragent les citoyens à signaler les moustiques tigres qu'ils ont repérés via le site web ou l'application (//surveillancemoustiques.be). La surveillance de ces moustiques est primordiale pour prévenir ou retarder autant que possible leur introduction et leur implantation dans notre pays. Parmi les arboviroses émergentes, certaines s'accompagnent d'une atteinte oculaire. C'est le cas de la dengue, du chikungunya, du Zika et de la fièvre du Nil occidental. Les signes oculaires sont rares au cours de la fièvre jaune, mais des complications visuelles ont été décrites suite à la vaccination. "Le changement climatique est souvent accusé à tort d'être à l'origine des bio-invasions. En fait l'homme est l'espèce la plus invasive: lors de ses multiples déplacements par voie terrestre, maritime ou aérienne, il transporte avec lui agents infectieux, vecteurs, animaux domestiques et leurs parasites", nuance l'Académie française de médecine. Actuellement, la répartition géographique des maladies à vecteurs endémiques, la dissémination des épidémies, les saisons et l'intensité des transmissions évoluent et ces modifications progressives sont en train de s'installer durablement. Par ailleurs, à côté des arboviroses émergentes, de nombreuses variables environnementales peuvent entraîner une augmentation des infections et des surinfections de la cornée, de la sclérotique et de la conjonctive: herpès simplex et herpès zoster de la cornée et de la conjonctive, kératoconjonctivite virale, lésions fongiques de la cornée... Le changement climatique ne se traduit pas uniquement par une augmentation de la propagation des maladies infectieuses oculaires. En 2003 déjà, l'Organisation mondiale de la santé a mené une étude qui a confirmé que l'appauvrissement de la couche d'ozone et l'augmentation du rayonnement UV étaient responsables d'un certain nombre de problèmes de santé oculaire, notamment la photokératite (inflammation de la cornée), la photoconjonctivite et la cataracte. Ceci dit, les UV ne sont pas la seule préoccupation, l'augmentation de la température, de la pollution atmosphérique et des allergènes s'ajoutent aux facteurs de risque et élargissent le spectre des affections oculaires susceptibles de se multiplier à l'avenir. "L'augmentation de l'exposition aux rayons UV est associée à des risques accrus d'affections de la surface oculaire, notamment le ptérygion (épaississement partiel et membraneux de la conjonctive, ndlr), la néoplasie squameuse de la surface oculaire et la cataracte", a indiqué la Dre Nisha Acharya (Université de Californie) lors du congrès de l'ARVO (Association for Research in Vision and Ophthalmology) qui s'est tenu en avril 2023 à la Nouvelle-Orléans (États-Unis). Si la littérature sur l'impact de la pollution atmosphérique et du changement climatique sur la santé oculaire est encore un peu pauvre, des études démontrent néanmoins une association positive entre l'augmentation des niveaux de polluants atmosphériques et un taux plus élevé de développement de la cataracte et des maladies de la surface oculaire. Ces dernières sont particulièrement affectées par les menaces environnementales telles que la prolongation de la durée des saisons allergiques et la multiplication des feux de forêt. Récemment, les cas de cataracte se sont multipliés dans le monde, ce qui est principalement attribué à l'augmentation des niveaux d'ozone, d'oxydes d'azote et de soufre dans l'environnement. On estime qu'au moins 20% des cas de cataracte seraient le résultat direct d'une exposition croissante aux UV, qui peut entraîner une surproduction d'espèces réactives de l'oxygène (ROS) dans le cristallin. Comme l'humidité relative diminue à mesure que la température augmente, le réchauffement climatique peut causer ou aggraver la sécheresse oculaire, ce qui accroît également le risque global d'infections de la cornée et de la conjonctive. L'augmentation de la fréquence et de l'intensité des épisodes de sécheresse oculaire sont l'une des conséquences les plus évidentes du changement climatique sur la santé oculaire. Les températures plus élevées et les vents plus forts peuvent assécher les yeux et entraîner une irritation, une rougeur et une inflammation de la surface oculaire. Les personnes qui portent des lentilles de contact peuvent également être plus susceptibles de développer des infections oculaires en raison de l'assèchement de la cornée. Les températures élevées ont également été corrélées à un risque accru de décollement de la rétine. Enfin, outre le risque infectieux et de cataracte, des études ont mis en évidence des associations entre l'exposition à la pollution atmosphérique et le glaucome à angle ouvert, l'uvéite, l'amincissement de la couche rétinienne, la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA), la rétinopathie diabétique... L'inflammation chronique, le stress oxydatif et la toxicité des particules fines, en particulier des PM2,5 font partie des mécanismes physiologiques mis en cause. Les particules fines (PM2,5) sont des entités solides de diamètre inférieur à 2,5 µm. Quelques mesures simples (à prendre dès le plus jeune âge) permettent de prévenir les dommages causés par les rayons UV, notamment ne pas regarder directement le soleil, rester à l'abri du soleil lorsque ses rayons sont les plus forts, porter des chapeaux à bords larges et des lunettes de soleil qui bloquent 100% des rayons UV. En revanche, la protection ou la prévention des dommages causés par la pollution ou l'allongement et l'intensification des saisons allergisantes sont difficilement envisageables à l'échelle individuelle. La lutte contre la crise climatique nécessite une approche collaborative impliquant cliniciens, chercheurs et décideurs politiques. L'objectif étant de minimiser efficacement les conséquences du changement climatique sur la santé oculaire et le bien-être général à long terme.