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" Les pharmaciens sont un atout dans la lutte contre les maladies non transmissibles (MNT) : ils ont des interactions régulières avec les patients, ils encouragent les mesures préventives et aident à une prescription adéquate, ils améliorent l'adhérence thérapeutique et la sécurité des traitements, ils participent au dépistage et au diagnostic précoces, ils individualisent le conseil et gèrent les maladies à long terme. Par conséquent, les MNT sont une opportunité pour renforcer l'engagement des pharmaciens auprès des patients et de la communauté, par une utilisation meilleure et plus durable des ressources de santé ", a précisé le Suédois Lars-Ake Söderlund (FIP, Fédération internationale des pharmaciens). En avril 2019, la FIP a édité un document reprenant les meilleures pratiques pour améliorer le rôle des pharmaciens dans la lutte contre les MNT. Le webinar des 11 et 12 mars derniers était consacré au cancer. " Dans la plupart des régions du monde, l'implication des pharmaciens dans la prévention des MNT concerne essentiellement les maladies cardio-vasculaires, le diabète et l'asthme/BPCO, mais très peu le cancer. Il faut donc se focaliser sur cette pathologie ! ", insiste Deirdre Criddle (Australie), directrice de la Société australienne des pharmaciens hospitaliers. 30 à 50% des cancers peuvent en effet être évités, en s'abstenant notamment de fumer ou en contrôlant son poids. En 2015, la FIP a ainsi édité un guide pratique pour assister les pharmaciens dans la cessation tabagique. L'Australienne donne l'exemple de la prévention du mélanome, un cancer très fréquent dans son pays : " Il faut éduquer le public sur l'usage correct des écrans solaires et sur les facteurs de protection. Une enquête réalisée par l'Australian Cancer Council en 2016/17 a montré que seuls 55% savent qu'il faut utiliser les écrans solaires quotidiennement, 20% pensent que mettre un écran solaire régulièrement entraîne une déficience en vitamine D, 17% ont des inquiétudes concernant les ingrédients de ces écrans, 40% ne connaissent pas les facteurs météorologiques à l'origine des coups de soleil, et <10% comprennent que la protection solaire est nécessaire quand le taux d'UV ?3 ". Autre exemple, la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) est une opportunité pour le pharmacien d'officine qui peut jouer un rôle important en encourageant, en informant et en anticipant la désinformation concernant ce vaccin. La spécialiste note que dans de nombreux pays, les pharmaciens participent au programme de dépistage du cancer du côlon ce qui permet d'augmenter l'accessibilité au test et d'assurer l'accès à un professionnel de santé qualifié. Comme cela se fait par exemple chez nous à Bruxelles. Une étude prospective a relevé les symptômes d'alarme de cancer présentés par des patients fréquentant 32 pharmacies du nord de l'Angleterre : pendant 2 mois, 257 symptômes alarmants ont été relevés. Les drapeaux rouges décrits aux pharmaciens étaient les suivants : 112 cas (44%) de toux depuis > 3 semaines, 21 cas de sang dans les selles ou de diarrhée depuis >3 semaines, 12 cas de perte de poids involontaire, 13 cas de saignements rectaux, 11 cas de dysphagie, 9 cas d'hématurie, 9 cas d'hémoptysie, 8 cas de grosseur dans le sein. Le manque de connaissances fondamentales sur le cancer est l'une des barrières qui freinent les pharmaciens dans ces missions. " Avec 4 ou 6 nouveaux médicaments approuvés chaque année et au moins 3 douzaines en essai clinique, il n'est pas raisonnable d'attendre des pharmaciens d'officine qu'ils connaissent tous ces développements thérapeutiques. Les études ont montré qu'ils manquent des connaissances nécessaires ou de confiance lorsqu'ils délivrent ce type de médicaments oraux. Pourtant, ces traitements sont aussi dangereux pour les patients que de nombreuses thérapies systémiques intraveineuses ", explique-t-elle. Développer la formation sur le cancer est primordiale si les pharmaciens veulent mieux soutenir les patients cancéreux pour garantir le meilleur usage possible des médicaments. Or, pour l'instant, les formations en soins pharmaceutiques concernent deux fois plus les maladies cardiovasculaires, le diabète et l'asthme/BPCO que le cancer. Au Canada, le Cancer Care Nova Scotia propose sur son site www.cancercare.ns.ca des boîtes à outils spécifiques par médicament qui comprennent des instructions pour le pharmacien (indications, problèmes de compliance, effets indésirables, planning de suivi, communication avec l'équipe soignante...), pour conseiller le patient (appels lors de l'instauration du traitement et de suivi), pour prévenir et gérer les effets secondaires (quelles réactions indésirables peuvent être gérées par le pharmacien, quand orienter vers le cancérologue et quand renvoyer vers les urgences ?) et les interactions médicamenteuses (liste des principales interactions médicament/médicament, sites d'interactions en ligne). En Australie, eviQ est une source d'outils pédagogiques pour les pharmaciens. " Savez-vous que les interactions médicamenteuses sont approximativement responsables de 4% des décès chez les patients cancéreux ? ", demande-t-elle, exemples à l'appui : " l'efficacité du tamoxifène est diminuée quand on donne simultanément de la paroxetine, induisant une augmentation de la mortalité en cas de cancer du sein ; le millepertuis interfère avec le métabolisme de nombreux médicaments anticancéreux (anastrozole, imatinib, etoposide, vinorelbine)... ". Quoiqu'il en soit, selon Deirdre Criddle, les choses ne pourront s'améliorer qu'en assurant l'accès aux données électroniques, outil essentiel pour diminuer les interactions. Il faut s'appuyer plus sur les pharmaciens, véritables sentinelles en contacts réguliers avec les patients, en particulier avec ceux qui ne voient pas leur médecin. " C'est une force de travail inutilisée qui pourrait être engagée pour augmenter le dépistage, faciliter le diagnostic précoce et référer les patients. Ils pourraient aider à l'optimisation du traitement, spécifiquement pour reconnaître les effets indésirables (à court ou long terme), à la gestion sûre des médicaments, le tout en collaboration avec les autres professionnels de santé ", conclut-elle.