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Chaque année, 4,1 million de patients contractent une maladie nosocomiale en Europe, dont 150-200.000 décèdent (ECDC). " Il est étonnant que cela touche autant de personnes dans le monde, constate le Pr Michel Delmée (UCL). En Belgique, on n'est pas en reste : selon les chiffres du KCE, nous sommes au-dessus de la moyenne européenne pour les infections nosocomiales (7,3% des patients infectés vs 6,4% dans l'UE), soit 2600 vies perdues/an ".En fait, le taux des infections nosocomiales est lié à la qualité des soins, explique-t-il : " Le progrès des soins fait que plus de patients survivent (cancer, dialyse, greffes...) mais qu'ils sont plus fragiles à l'infection pendant le reste de leur vie. L'hygiène doit donc rester une priorité, surtout dans un contexte de restrictions budgétaires ".Les campagnes d'hygiène des mains ont beaucoup amélioré les choses cependant, l'un des domaines où le risque de contamination reste le plus élevé est celui des instruments et cathéters. Les microbes s'attachent facilement sur la surface des dispositifs médicaux formant des biofilms très difficiles à éliminer, notamment sur les endoscopes.Qu'est-ce qu'un biofilm ? Il s'agit d'une matrice produite par la plupart des microorganismes pour s'abriter contre les biocides et les antibiotiques, ce qui en fait une source de contamination constante. " C'est la façon dont les bactéries survivent et se protègent dans l'environnement. Elles se multiplient et sécrètent une série de polymères (polysaccharides, protéines, ADN) et s'enferment dans un nid qui devient une protection contre les antiseptiques et les antibiotiques notamment. Plus le biofilm grossit, plus il y a un risque de dispersion de son contenu ", ajoute le Pr Delmée.Même les espèces incapables de former des biofilms (virus, phages, spores, certains micro-organismes...) peuvent être abritées dans des biofilms formés par des germes comme des Staphylococcus, Pseudomonas, E. coli, Enterococcus, Listeria, Salmonella...De plus, les biofilms offrent un environnement favorable au transfert de gènes de bactéries résistantes à d'autres bactéries et certaines d'entre elles sont jusqu'à 1000 fois plus résistantes aux biocides si elles se trouvent dans un biofilm. La désinfection est donc inefficace sans nettoyage correct. Cette mission peut être prise en charge par des détergents enzymatiques qui désagrègent le biofilm, autorisant, dans un second temps, l'action des antiseptiques. " Ce n'est pas le chevalier blanc mais la lutte contre les maladies nosocomiales est multifactorielle et chacun peut apporter sa pierre à l'édifice ", explique Sébastien Goenen, CEO de OneLife, spinout biomédicale du spécialiste de l'hygiène Realco.70% des infections nosocomiales seraient dues à une contamination du matériel médical : la prévention commence donc par un nettoyage approprié. " Le nettoyage est souvent confondu avec la désinfection et certains essayent de nettoyer et de désinfecter en même temps or, il a été prouvé que ce n'est pas efficace. Les désinfectants ne nettoient pas, ils tuent ce qui est accessible or, les germes dans les biofilms sont inaccessibles ", insiste-t-il.Selon certaines études, plus de 45% du matériel médical prêt à l'usage sont encore contaminés. Pourquoi ? Parce que les protocoles ne sont pas suivis correctement ou parce que les moyens ne sont pas adaptés.Pour l'instant, OneLife dispose de produits enzymatiques pour nettoyer les sols et dissoudre les biofilms sur les instruments, les endoscopes et les surfaces, afin d'améliorer la désinfection. D'autres produits sont en cours de développement pour dissoudre les biofilms sur les prothèses, cathéters et implants afin d'améliorer les traitements antimicrobiens. Des résultats d'une étude sont attendus dans les 18 mois.La plupart des flambées d'infection sont liées à des endoscopes contaminés. Selon les CDC, le risque d'infection s'élève à 15/1.000 procédures de bronchoscopes et non à 1,8/1.000.000, comme on le pensait précédemment.Une étude réalisée dans des hôpitaux belges, entre juin et octobre 2019, montre que sur 46 endoscopes testés, 27 dépassaient les seuils de contamination, les duodénoscopes et les écho-endoscopes étaient ceux qui posaient le plus de problèmes.Peut-on optimaliser le " reprocessing " ou retraitement auquel sont soumis les endoscopes ? Une étude, conduite dans le service d'endoscopie du CHU de Liège, a comparé le nettoyage par un détergent non enzymatique à celui par un détergent enzymatique.L'étude observationnelle a concerné 12 endoscopes (4 colonoscopes, 4 gastroscopes, 2 duodénoscopes et 2 bronchoscopes). Elle s'est déroulée en 2 phases : 2 mois d'utilisation du premier produit et 2 mois du composé enzymatique. Les chercheurs ont prélevé 2 échantillons liquides dans les canaux des endoscopes (avant le nettoyage manuel et après) et mesuré le niveau d'ATP sur ces prélèvements. " Étonnamment, précise Jonathan Alfageme Gonzales, hygiéniste (CHU Liège), il y avait une grande disparité dans le niveau initial de souillure de ces canaux : les colonoscopes n'étaient pas les plus sales, les gastroscopes se sont révélés les plus difficiles à nettoyer ".Les résultats ont montré, pour les gastroscopes, les colonoscopes et les bronchoscopes, une diminution significativement supérieure du niveau d'ATP dans les canaux après nettoyage avec le détergent enzymatique (la même tendance s'observe pour les duodénoscopes mais elle n'est pas statistiquement significative). " Le pré-nettoyage est le socle du retraitement des dispositifs médicaux. Il conditionne la désinfection finale : on ne désinfecte que ce qui est propre ", confirme Jonathan Alfageme.Pour le pré-nettoyage des dispositifs médicaux, les dernières recommandations du CSS (mai 2019, CSS n°9446) préconisent l'utilisation de composés enzymatiques " de par leur action détergente efficace et leur sécurité d'emploi (par rapport aux détergents alcalins) "." Pour réduire le taux d'infections nosocomiales lié aux endoscopes, il convient d'investir dans l'éducation de tous les professionnels de santé, de mettre l'accent sur l'importance du nettoyage et de le soutenir financièrement, et d'inclure l'environnement du patient dans le plan national One Health de lutte contre l'antibiorésistance ", conclut Sébastien Goenen.