...

"Cette pénurie est interpellante et ne cesse de s'accentuer. Nous avons de plus en plus d'étudiants inscrits en première année de pharmacie, avec un vrai bond depuis 2-3 ans: on est à environ 350 étudiants en Bac1, c'est énorme! Alors qu'en France, ils ne parviennent plus à avoir leur quota d'étudiants en pharmacie, chez nous, c'est l'inverse et, depuis le covid, on a tous observé une augmentation des inscriptions. Logiquement, la profession devrait saturer à un moment donné or, ce n'est pas le cas! ", constate la Pr Brigitte Evrard, présidente du Département de pharmacie à l'ULiège. Elle avance quelques explications: " Plus d'étudiants s'orientent vers une profession autre que l'officine ouverte au public (il y a 5 ans, 80% de nos étudiants se retrouvaient en officine). Pour l'année académique 2021-2022, nous avons diplômé environ 80 étudiants dont 10% se sont orientés vers la spécialisation en hôpital, 7% vers l'industrie, 2-3 en biologie clinique et 10% vers la recherche (doctorat). Ces chiffres n'expliquent donc pas non plus la pénurie. Par ailleurs, la tendance actuelle est de ne plus travailler à temps plein en officine, les jeunes passent vite à 4/5e. Enfin, la profession évolue beaucoup pour le moment et certains pharmaciens plus âgés prennent leur retraite plus tôt, ils n'ont plus envie de s'impliquer, d'apprendre à faire des vaccins... " " Une autre analyse que j'ai faite avec des collègues français où le problème se pose avec encore plus d'importance, c'est que les heures d'ouverture d'une officine sont en augmentation. En France, il n'est pas rare d'ouvrir de 8 h à 20-21 h. Un pharmacien employé à 40h/semaine ne suffit plus pour couvrir toutes ces heures, il faut donc plus de pharmaciens... ", précise-t-elle. " Aujourd'hui, quand on demande à un étudiant ce qu'il va faire l'année prochaine, il s'envisage dans d'autres métiers que la pharmacie d'officine, alors qu'autrefois pas mal rejoignaient l'officine. Bien sûr il y a ceux qui font les circuits classiques (industrie, hôpital ou clinique, biologie, doctorat), mais de plus en plus trouvent des jobs dans d'autres débouchés ", fait observer le Pr Emmanuel Hermans, doyen de la Faculté de pharmacie à l'UCLouvain. " Le pharmacien d'officine n'attire plus, est-ce un problème d'image? Pour attirer les étudiants, nous vendons nous-mêmes l'idée des multiples débouchés possibles, il ne faut donc pas être surpris qu'à la sortie beaucoup ne font pas forcément l'officine... Les inscriptions en faculté de Pharmacie ne montrent pas de désamour: on est passé de 200 à 300, puis 400 l'année passée et à 500 cette année: c'est énorme mais l'examen d'entrée en médecine a fait des dégâts dans la mesure où il y a environ 100 étudiants en moins en 1ère médecine à l'UCLouvain. Ils sont donc chez nous! " En 2022, l'UCLouvain a diplômé 117 pharmaciens. " Nous formons d'abord des scientifiques et on en est fier. On manque de pharmaciens sur le marché du travail dans tous les domaines d'activité: comme emploi, c'est le maître achat! Je ne connais pas de pharmaciens au chômage! ", ajoute-t-il. Même son de cloche à l'ULB où le nombre de diplômés est stable ces 5 dernières années. " On a diplômé 63 pharmaciens en 2022 et on peut s'attendre à une augmentation dans 3 à 4 ans vu la forte croissance du nombre d'étudiants en BA1 depuis deux ans (ce nombre a quasi triplé en 5 ans), avec pas mal d'étudiants français (30 à 40% ces deux dernières années). On estimait que 80% des étudiants allaient en officine, mais je ne sais pas si ce chiffre est encore correct ", analyse la Pr Stéphanie Pochet, doyenne de la Faculté de pharmacie à l'ULB. " Des pharmaciens d'officine expliquent cette pénurie par les conditions de travail qui n'attirent plus (horaires, gardes...). Je pense également qu'il y a plus de besoins qu'auparavant à cause des temps partiels mais aussi des différents services proposés en officine. Enfin, les pharmaciens ressentent une grande fatigue après le covid et peut-être que cela décourage les étudiants qui font leur stage en officine. Malgré cette pénurie, quand on engage un pharmacien, il faut vérifier le diplôme. C'est très important pour maintenir la qualité ", souligne-t-elle.