Dans le cadre du projet DIADeM, des chercheurs belges et français ont analysé l'impact d'un cocktail médicamenteux sur la faune de la Meuse. Ce travail qui a permis de développer une méthode pour améliorer le diagnostic de la qualité des eaux de rivières, vise aussi à conscientiser le public à cette problématique.
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Dans quelle mesure les résidus médicamenteux affectent-ils la qualité de l'eau des rivières et perturbent-ils le développement de la faune et de la flore qui les peuplent? Comment protéger la biodiversité des rivières? Pour répondre à ces questions, les Prs Patrick Kestemont (Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Évolutive, UNamur) et Alain Geffard (Université de Reims Champagne-Ardenne) ont mis sur pied la projet Interreg DIADeM (Développement d'une approche intégrée pour le diagnostic de la qualité des eaux de la Meuse). "En travaillant sur l'impact de certains médicaments, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait relativement peu de connaissances sur l'écotoxicologie des résidus médicamenteux. On sait que la pilule contraceptive est un pertur- bateur endocrinien potentiel mais, pour beaucoup d'autres médicaments, on connaît relativement peu leurs effets sur l'environnement aquatique", explique le Pr Kestemont. Des analyses chimiques et biologiques ont été menées sur 5 espèces représentatives de la Meuse et de ses affluents la Sambre et la Semois (mousse fontinale, gammare (crustacé), moule zébrée, épinoche à trois épines et truite arc-en-ciel), dans 3 conditions expérimentales (aquarium, rivières artificielle (mésocosme) et naturelle). Ces études ont été couplées à des modèles mathématiques pour prédire les répercussions des polluants sur les espèces aquatiques. Pendant 4 ans, les chercheurs de DIADeM ont acquis des données pour évaluer l'impact d'un cocktail de médicaments. "On s'est basé sur l'étude menée par la Société wallonne des eaux qui a mis au point des techniques de détection rapides et précises sur une cinquantaine de médicaments les plus utilisés. Nous avons créé un cocktail de 5 substances les plus présentes dans les eaux de surface de la Meuse, en terme d'occurence et d'abondance (diclofénac, irbésartan, paracétamol, carbamazépine et naproxène)". Ce cocktail a été utilisé à des concentrations environnementales (valeur moyenne en milieu naturel), mais aussi à des concentrations 10 et 100 fois supérieures, conformément aux observations menées à certains endroits de la rivière. "Nous avions des hypothèses de départ (si on retrouve des molécules considérées comme perturbateurs endocriniens, on pourrait éventuellement retrouver des marqueurs d'oestrogénicité...). Je ne m'attendais pas à voir des effets énormes et, globalement, nous n'avons pas vu d'effets très marqués pour l'ensemble des indicateurs analysés", précise-t-il. Les analyses en aquarium mettent en évidence la toxicité du cocktail de médicaments sur la mousse et la truite, malgré une courte exposition (42 jours) à faible dose. En plus d'un impact sur leur système reproducteur, les truites développent une réaction inflammatoire aux médicaments. Les espèces évoluant dans les mésocosmes ont été soumises à ce cocktail sur une période plus longue: après 6 mois, la mousse et la moule ont présenté des symptômes, contrairement à l'épinoche et au gamarre. Ces résultats témoignent de l'efficacité des biomarqueurs dans l'établissement d'un diagnostic de santé précoce et, grâce aux modèles mathématiques, ils permettent d'anticiper les effets à long terme des polluants avant qu'ils n'impactent la viabilité des espèces. Les données récoltées à hauteur des stations d'épuration (en amont et en aval) montre un effet modéré des rejets sur les organismes: chez le gamarre, aucun n'a été observé sur le système neuronal, immunitaire et de détoxification, mais bien sur le système reproducteur (retard du cycle de mue chez les femelles qui doivent changer de carapace pour pouvoir pondre). "Il s'agit plus de biomarqueurs de risque potentiel modéré, que de réelle mise en évidence de perturbations majeures. Des poissons ou des invertébrés nés dans la rivière et qui y passent tout leur cycle de vie pourraient avoir des réponses différentes à des concentrations assez faibles. Ici, on voit globalement que les effets sont faibles et ne permettent pas d'indiquer, à ce stade-ci, l'existence d'un risque environnemental. Il y a simplement une notion de vigilance à avoir, des médicaments à suivre". Que faire de ces résultats? "Une des idées du projet DIADeM est aussi de dire qu'il faut agir en amont et donc adapter les processus de fabrication et la prescription, en privilégiant des produits à faible impact écologique", insiste Patrick Kestemont. Ce qui passe par l'éco-prescription, le respect de la posologie et la gestion raisonnée des médicaments périmés. Dans le Pacte vert pour l'Europe, la Commission européenne a adopté diverses propositions dont certaines visent à prendre en compte les résidus des médicaments ou encore à inciter les industries pharmaceutiques à rechercher des formulations à faible empreinte écologique. En Suède, il existe par exemple déjà une liste de médicaments peu impactants sur l'environnement. Enfin, l'un des objectifs de DIADeM est aussi d'éveiller une conscience collective, celle de comportements plus respectueux et raisonnés s'inscrivant dans une approche durable de l'utilisation des ressources. Une exposition itinérante, 'La santé des rivières est-elle en péril? ', répond à cet objectif en dévoilant les coulisses du projet de recherche européen DIADeM. La visite est gratuite (sur réservation) jusqu'en janvier 2022 au Confluent des Savoirs à Namur.