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"Quand on regarde, sur une période d'environ 60 ans et dans le monde entier, les souches de streptocoque du groupe A (SGA) associées au rhumatisme articulaire aigu (RAA), on observe qu'elles proviennent de fonds génétiques extrêmement différents et que tous les clades de SGA sont associés au RAA ", précise le Pr Pierre Smeesters (pédiatre à l'Huderf, chercheur au Laboratoire de bactériologie moléculaire à l'ULB), principal auteur de l'étude.1" C'est en contradiction avec ce que l'on a appris pendant nos études : il y a encore cette notion assez répandue dans les livres de médecine et dans la littérature, qu'il y a une dizaine de souches rhumatogènes responsables du RAA. Nous battons ce dogme en brèche en disant que le problème est beaucoup plus vaste. "Cette découverte a deux conséquences principales, poursuit-il : " La première, en termes de santé publique, c'est que nos données suggèrent qu'un candidat vaccin efficace contre ces 10 souches rhumatogènes ne fonctionnera pas. Si le vaccin n'offre pas une large couverture contre les variants génétiques du SGA, l'impact sur la mortalité et la diminution du RAA sera vraisemblablement limité. Ceci avait déjà été suggéré par d'autres études, notamment à Hawaï et en Nouvelle-Zélande ".La deuxième concerne la recherche et tient beaucoup à coeur au Pr Smeesters : " Dans les labos de recherche fondamentale, on a tendance à utiliser toujours les mêmes souches occidentales retrouvées aux États-Unis et en Europe. Nos données montrent qu'il faut travailler avec des souches qui viennent d'ailleurs dans le monde ".L'équipe de l'ULB, en collaboration avec des chercheurs australiens et néo-zélandais, a analysé toutes les souches de SGA associées au RAA dans le monde depuis 1944, date de publication de la définition de la maladie selon les critères originaux formulés par T. Duckett Jones, qui ont été révisés en 2015. " Nous avions le sentiment que chacun, dans sa situation épidémiologique nationale locale, n'avait qu'une petite partie de l'histoire. S'il y a un mécanisme biologique sous-jacent, il faut regarder largement et pendant longtemps ".Ainsi, leurs résultats soulignent également des lacunes importantes dans la compréhension de la pathogenèse du rhumatisme articulaire aigu. Pourquoi ces 10 souches induisent-elles du RAA ? " Les théories les plus convaincantes disent qu'il s'agit de mimétisme moléculaire : un peptide sur la protéine M (protéine de surface du streptocoque) ressemblerait au tissus conjonctif du coeur. On développerait des anticorps contre une partie de la bactérie, qui ensuite attaquent les valves cardiaques, les articulations, les reins... "." Or, quand on analyse la présence de ces déterminants dans les collections mondiales de souches de SGA, on les retrouve excessivement rarement. Il en existe donc probablement d'autres. Par conséquent, il faut sortir de nos habitudes : aujourd'hui, c'est assez facile parce qu'on a accès à des réseaux mondiaux, on peut s'échanger des souches. Il y a donc une sorte de paresse à continuer à toujours travailler avec les souches que l'on connaît bien ", estime le chercheur.Le SGA affecte 33 millions de personnes et provoque plus de 500.000 décès chaque année. Le RAA est encore endémique dans des pays plutôt défavorisés sur le plan socio-économique. " Il y a eu des tentatives pour améliorer l'accès aux soins et prendre en charge les angines plus rapidement, mais elles se sont toutes soldées par des échecs relatifs. Il y a un large consensus pour dire que la seule façon de prendre en charge ce phénomène serait de développer un vaccin efficace ".Il y a quelques années, un vaccin 26-valent a atteint la phase clinique 2, mais, " développé uniquement sur des données nord-américaines et européennes, on s'est rendu compte qu'il ne fonctionnerait pas ailleurs. Il faut donc avoir une approche globale mondiale. Cela semble évident mais ce n'est pas si simple ", fait-il observer.Dès lors, quelle piste suivre pour développer un vaccin ? " Il y a deux écoles, répond Pierre Smeesters : prendre des composants très conservés, universels, de tous les streptocoques, indépendamment des sérotypes, un peu comme on l'a fait pour la malaria. L'avantage est que cela touchera tout le monde, l'inconvénient c'est que, en général, ce qui est conservé n'est pas très immunogène. Dans la deuxième hypothèse, qui semble mieux tenir la route pour l'instant, on utiliserait la protéine M, donc des parties variables d'un sérotype à l'autre. Ce qui suppose de disposer de suffisamment de sérotypes circulant dans le monde ".Le Laboratoire de bactériologie moléculaire de l'ULB a participé à l'élaboration d'un Atlas des candidats vaccins contre le SGA2. Aujourd'hui, il dispose d'une large collection de souches provenant du monde entier sur lesquelles tester ses hypothèses. " Globalement, on se concentre essentiellement sur la partie extérieure de la bactérie, on essaye de comprendre le rôle de trois protéines de surface (dont la M) dans la virulence et d'avancer vers le bon antigène pour le bon vaccin ".