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À la pharmacie Renneboog, Nieuwstraat 9 à Alost, on pourrait presque croire que le temps s'est arrêté. "Les armoires en chêne de Malines datent de 1900. C'est mon grand-père qui les a installées", raconte Dirk Renneboog, aujourd'hui âgé de 68 ans. "L'intérieur n'est pas classé, mais nos clients y sont attachés et moi aussi", enchaîne Nathalie. "J'ai travaillé un temps dans une officine moderne et plus vaste, mais je me débrouille sans problèmes ici. Et puis franchement, passer ses journées dans un cadre pareil, c'est le rêve!" La jeune pharmacienne a tout de même apporté quelques changements à l'officine familiale depuis qu'elle est venue y rejoindre son père. "J'ai par exemple fait installer une croix verte sur la façade pour qu'elle soit clairement identifiée. Papa n'était pas très chaud, mais il a fini par admettre que ce n'était pas une mauvaise chose en termes de visibilité. Les vieilles générations sont sans doute plus réticentes à changer, mais il faut bien vivre avec son temps." Le bâtiment où se sont succédé cinq générations de pharmaciens Renneboog date du 18e siècle. C'est dans les années 1850 que la famille y a déployé ses premières activités commerciales, sous la forme d'une droguerie lancée par le vétérinaire Louis Renneboog, l'arrière-arrière-grand-père de Dirk. L'enseigne était réputée urbi et orbi pour ses wonderbare pakken, "un produit à mélanger avec de la bière tiède pour faciliter la fécondation des juments", précise l'ancien pharmacien. Une autre spécialité maison bien connue était le kiekenwijn, un traitement pour combattre diverses maladies chez les poulets." "Papa connaît l'histoire de la maison et de la famille bien mieux que moi", commente sa fille en riant. Le fils de Louis, August, est devenu en 1877 le premier pharmacien de la famille, suivi de Jérôme, Anthony, Dirk et aujourd'hui Nathalie. "Autrefois, nos patients venaient de toute la région. C'était l'époque où les pharmaciens se faisaient envoyer leurs matières premières en vrac, par le train, et préparaient tout sur place. Papy Jérôme consignait ses recettes en grec!", précise Dirk. Nathalie reste fidèle à la tradition des préparations maison. "Je pense que nous sommes encore et toujours réputés pour certains produits, comme notre propre "imodium", notre traitement contre les boutons de fièvre, notre onguent à la balsamine (pour favoriser la cicatrisation des plaies) ou encore notre poudre corporelle (contre la transpiration des pieds ou la dermatite des langes chez les bébés), pour n'en citer que quelques-uns. Cela nous met toujours du baume au coeur quand des clients viennent nous voir spécialement pour une préparation que leur grand-mère utilisait déjà ou qu'ils se souviennent encore d'être venus ici enfants. Et il n'y a pas que les vieilles générations, hein! Bouche-à-oreille aidant, les jeunes aussi trouvent le chemin de la Nieuwstraat." Nathalie est toutefois consciente de la profonde métamorphose de la profession qui s'est enclenchée depuis quelques années. "Les marges ne cessent de se réduire, il y a la concurrence d'internet, la lourde charge administrative supplémentaire... mais aussi, dans notre cas spécifique, les difficultés croissantes pour nous procurer certains ingrédients de base pour nos produits maison. Parfois, nous sommes forcés de faire des choix, de nous demander s'il ne vaudrait pas mieux en abandonner certains. Ce n'est jamais évident." La pharmacienne cherche aussi d'urgence un ou une collègue pour la seconder à l'officine. La fonction sociale et le rôle de conseil du pharmacien restent en effet très importants, souligne-t-elle. "Le fait que j'incarne un certain rajeunissement de la pharmacie a ses bons côtés. En tant que jeune maman, je suis par exemple bien placée pour conseiller d'autres femmes qui ont des enfants en bas âge... et plus largement, bavarder avec les patients est un aspect du métier qui m'apporte une immense satisfaction. J'introduis toutefois aussi des accents nouveaux. Je travaille par exemple beaucoup avec des produits de phytothérapie - une tendance assez récente, mais à laquelle je crois - et je réalise aussi des vidéos pour nos canaux sur les réseaux sociaux." Là où ses prédécesseurs étaient encore pour les patients "monsieur le pharmacien", Nathalie se fait appeler par son prénom et, contrairement à ses père, grand-père et arrière-grand-père, elle ne porte plus systématiquement la blouse blanche. Elle rompt ainsi avec une tradition instaurée par Jérôme, le grand-père de Dirk. "C'est un souvenir de son passage dans l'armée. Lorsque la Première Guerre Mondiale a éclaté et qu'il a été appelé sous les drapeaux, en 1914, il devait encore faire son stage de pharmacien. Blessé au combat, il a reçu la visite de la Reine Élisabeth qui lui a promis qu'elle veillerait à ce qu'il puisse le faire à l'hôpital militaire. C'est là qu'il a pris l'habitude de porter la blouse blanche." De quoi expliquer, sans doute, pourquoi Dirk Renneboog enfile spontanément la sienne lorsque notre photographe sort son appareil! Et voilà d'ailleurs qui lui rappelle une dernière anecdote: "Jérôme Renneboog était aussi un photographe amateur passionné, qui commandait son équipement chez les frères Lumière en personne. Bon nombre de ses photos ont été conservées dans les archives de la ville d'Alost."