...

L a pandémie et le premier confinement ont-ils eu un impact sur la pandémie du VIH? Thierry Martin: On manque de recul, il faudra attendre les chiffres d'infection VIH et IST l'année prochaine. Sur le terrain, on a constaté, principalement pendant les premiers mois de confinement, des problèmes d'accès au matériel de prévention, puisque les structures de prévention fonctionnaient quasi à bureaux fermés, de même que certains magasins. Il ne faut pas se leurrer, si on conseillait d'éviter les contacts, les applications de rencontre ont continué à fonctionner, les prises de risques ont continué, sans doute renforcées par la diminution d'accès aux préservatifs. Et surtout, cela a eu un impact sur le dépistage puisque les structures étaient fermées. Des personnes qui ont pris des risques avant ou pendant le confinement n'ont pas pu confirmer une potentielle infection et des personnes infectées en ont peut être contaminé d'autres sans le savoir et n'ont pas eu accès aux traitements puisque l'accès à l'hôpital était également compliqué. Comment la Plateforme Prévention Sida s'est-elle adaptée? Notre manière de travailler a beaucoup changé puisqu'on informe et sensibilise notamment sur le terrain: on va dans le milieu festif, dans les bars, les endroits de rencontre, les festivals, les associations... Dans la mesure où la plupart de ces endroits ont été fermés, il a été compliqué de continuer à faire notre travail. On a essayé de développer d'autres stratégies, en allant par exemple dans des endroits où il y a une vie festive, comme au parvis Saint-Gilles, mais là aussi, c'était compliqué et maintenant c'est fermé. C'est pour ça qu'on investit le digital pour continuer à informer avec des messages de prévention, des campagnes via les réseaux sociaux, les sites de rencontre, mais aussi et surtout les associations avec qui on travaille. Notre stratégie de communication a été renforcée: tous les jours, on distille des informations, principalement sur Instagram et Facebook. Notre grand enjeu pour le moment c'est de savoir comment travailler pour avoir un message de réduction des risques face aux fêtes illégales. Et ça c'est compliqué. Quelles autres pistes avez-vous développées? A côté des réseaux sociaux, nous avons des actions de diffusion des autotests, les tests rapides à faire chez soi: si tout est fermé, les gens qui prennent des risques ne peuvent pas aller au centre de dépistage local, or ils doivent au moins avoir l'occasion de se faire dépister chez eux, avec un conseil par téléphone. Mais ceci concerne un public averti, se dépister tout seul n'est pas à la portée de tout le monde. On a fait des webinaires sur le VIH et les IST, qui ont eu un certain succès, on discute de certains projets de manière virtuelle, il faut s'adapter et se familiariser avec tous ces nouveaux outils (zoom, teams...). En été, on a fait une action avec les médecins généralistes pour les sensibiliser à la prévention, au dépistage des IST et du VIH, parce qu'on a constaté des opportunités manquées: certains médecins ne pensent pas ou n'osent pas proposer un test de dépistage. La Belgique est reconfinée, comment vous adaptez-vous? Suite au nouveau confinement, la grande majorité de nos actions de sensibilisation de terrain ont dû être supprimées. Nous maintenons nos actions de dépistage rapide du VIH et de l'hépatite C et nous renforçons nos actions digitales, notamment la campagne " Indétectable = Intransmissible " en tv et radio, sur Facebook et Instagram... Comment envisagez-vous la Journée mondiale contre le sida cette année? Pour nous, il est important d'être sur le terrain pour rappeler les messages de prévention et de solidarité avec les personnes séropositives. Comme le nouveau confinement va nous en empêcher, il faut trouver d'autres manières de diffuser nos messages et c'est principalement via Internet et les réseaux sociaux. Pour les personnes qui vivent avec le VIH, la Journée mondiale du sida est toujours un moment très important de rencontre... On a un groupe WhatsApp pour échanger avec nos patients VIH parce que beaucoup de questions sont apparues au début du confinement par rapport à l'impact de la crise, au lien entre Covid et VIH.Quel est le slogan de la Journée mondiale du sida? " Restons mobilisés ". C'est en lien avec la situation actuelle: le Covid est là mais il faut continuer à faire de la prévention par rapport au VIH, parce que la situation reste, là aussi, inquiétante au niveau des chiffres. On veut rappeler, sans jugement et sans démoraliser le grand public, que le VIH et le sida restent encore malheureusement une thématique importante. Tout l'espace est monopolisé par le Covid, on peut le comprendre, mais il ne faut pas que les autres priorités de santé publique passent à la trappe. D'autant qu'il y a aussi un sentiment de fatigue et de déprime dans la population. Le Covid-19 pose-t-il des problèmes particuliers aux patients VIH? A partir du moment où les séropositifs prennent bien leur traitement et que leur charge virale est indétectable, il n'y a a priori pas de risque avec le Covid. Pendant le premier confinement, les centres de référence sida ont fait beaucoup d'efforts pour que les patients puissent au minimum recevoir leur traitement, qu'il n'y ait pas d'interruption. Les problèmes sont surtout d'ordre psychologique: beaucoup de patients VIH sont des personnes fragiles, seules, et le Covid les a rendues encore un peu plus vulnérables. Pensez-vous que cette crise sanitaire aura des conséquences durables sur votre domaine d'action? Oui, en termes d'information et d'accès à la prévention parce qu'il est compliqué de faire notre travail quand la plupart des endroits sont fermés, et les gens ne sont pas toujours très réceptifs à nos messages dans ces moments un peu stressants pour tout le monde. Quand tout ceci sera derrière nous, on risque de devoir gérer des situations plus compliquées au niveau des chiffres: cette pandémie va avoir un impact sur l'épidémie du VIH parce qu'il est difficile de sensibiliser les gens sur ce sujet et que les prises de risques vont avoir lieu. Il y a 1700 personnes séropositives qui l'ignorent et je pense que cela va augmenter.https://preventionsida.org/