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En ces temps troublés, les gens se tournent souvent sur des personnes possédants des super-pouvoirs, même s'ils font partie d'une super-puissance, qu'il s'agisse de Trump, d'Orban ou Poutine...Ce qui nous évoque les années trente, et des figures évidemment bien plus sinistres encore. Pas étonnant d'ailleurs que dans l'après-crise de 29, la littérature populaire ait vu émerger sous forme de bandes dessinées des superhéros, toujours des créations d'émigrés juifs qui trouvaient sans doute dans ces créatures une solution " divine" aux difficultés rencontrées, et au fait notamment de se voir à l'époque refuser l'accès à des professions prestigieuses. Selon les mots de la directrice du musée, on leur laisse les métiers de saltimbanques comme les comics ou le cinéma naissants.Les premiers héros n'ont rien de " super ", comme dans le cas de Abie The Agent, de Harry Hershfield, dont le petit personnage typé parle avec un fort accent yiddish.Mais très vite, d'autres laissent leurs origines de côté pour se fondre dans la société américaine. C'est le cas de Superman (créé par Joe Shuster et Jerry Siegel en 1938), Batman en 1939 (Bob Kane et Bill Finger) ou encore Captain America créé en 1940 par Joe Simon et Jack Kirby...La vague des superhéros recède après la guerre, du fait de l'expansion économique rassurante et des fourches caudines de la Comics Code Authority qui leur reproche d'inciter la délinquance juvénile !Ils connaissent une nouvelle vie, car les superhéros ne meurent jamais comme le claironne le titre de l'expo, et certains auteurs laissent, discrètement d'abord, poindre leurs identités juives : c'est le cas de La Chose des Quatre Fantastiques encore une création de Kirby comme Hulk, qui renvoient tous deux à la figure du Golem.Will Eisner, fils d'un peintre juif autrichien, est le premier à produire des bandes dessinées en série, notamment celles de Kirby dans les années trente, et, visionnaire, crée dès 1940 un premier antihéros, The Spirit. Il sera par ailleurs en 1978 à la base de l'éclosion du roman graphique avec notamment A Contract With God, réminiscence mi-autobiographique et mi-fictionnelle de la vie des immigrés juifs d'avantguerre.Cette introspection a débuté dès les années 50 notamment dans la revue Mad, fondée par Harvey Kurtzman, lequel dénonce la ségrégation raciale, la Guerre froide et le maccarthysme. Une tendance qui connaîtra son sommet avec Maus d'Art Spiegelman, formidable évocation en bandes dessinées de la vie de son père, survivant des camps. D'autres auteures juives s'emparant du sujet dans un style, plus rond pour Bernice Eisenstein ( I Was a Child of Holocaust Survivors), ou plus réaliste dans le cas de Miriam Katin ( We Are on our Own). James Sturm quant à lui met l'accent sur l'ambiguïté de l'intégration ( The Golem's Mighty Swing) et évoque en cela A Serious Man, film des frères Cohen sorti voici dix ans.Avec la vague hippie, le dessin et le propos se font plus adultes et plus crus: édités dans le magazine Twisted Sisters autour du thème de la vie communautaire par Aline Kominsky-Crumb, de façon plus universelle par son mari Robert Crumb et son formidable Fritz The Cat, produit au départ de sous-culture, devenu extrêmement populaire depuis.Alors que l'exposition est au départ fruit d'une collaboration entre les musées juifs de Paris et Amsterdam, celui de Bruxelles étend le propos (et augmente l'expo de moitié!) en montrant que le genre des superhéros américains (c'est le but, mais Astérix a lui aussi quelque chose du superhéros vivant dans son shtetl par un scénariste qui fit d'ailleurs ses classes à New York), n'est plus désormais l'apanage d'auteurs juifs américains: l'auteur des nouveaux X-Men, dont le personnage de Magneto un survivant de la Shoah, Chris Claremont est anglais. Rick Veitch, catholique, qui égratigne trop les superhéros dans les années 90 est débarqué de DC Comics et sort dès lors avec Brat Pack une critique au vitriol de ces champions, à l'instar de The Boys de l'Irlandais Gareth Ennis.Mais qu'il s'agisse de Watchmen (1986) qui en douze albums et autant de personnages donne une conscience aux superhéros s'interrogeant sur leur rôle et leurs actions, les nouveaux superhéros restent toujours ce qu'ils ont toujours été: différents de la majorité WASP des Pères Fondateurs, autres dans la foule.Qu'il s'agisse de Kamala Khan personnage féminin musulman crée en 2014, du héros homosexuel Northstar qui se marie (alors que cette union est loin d'être autorisée partout en Amérique) ou du roi africain luttant pour le bien des siens (Black Panther).En effet, les superhéros ne meurent jamais, ils ne font que naître (d'autant plus en ces temps de crise ! )