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Venins d'abeilles, de serpents, de lézards, de scorpions, d'araignées, de cônes marins... Ils fascinent l'homme depuis très longtemps. Ces toxines intéressent les chercheurs en raison notamment de leur grande sélectivité et de leur spécificité pour certaines cibles moléculaires. Ils s'en servent pour tenter de mettre au point de nouveaux candidats médicaments, mais aussi comme outils dans des modèles d'étude. " Depuis longtemps, on s'est rendu compte que des peptides extraits des venins sont d'une grande sélectivité par rapport aux molécules classiques à petit poids moléculaire. On a par exemple beaucoup travaillé sur l'apamine, une toxine du venin d'abeille, qui bloque un type particulier de canal potassique avec un grand niveau de sélectivité et une grande puissance ", précise Vincent Seutin qui enseigne la pharmacologie en faculté de Médecine à l'université de Liège. Dans cette université, une poignée de chercheurs en chimie et pharmacologie ont développé une expertise particulière dans cette matière : ainsi, à côté de Vincent Seutin qui s'intéresse à l'analyse fonctionnelle des toxines, Loïc Quinton s'attache à la structure des venins, Frédéric Kerff à la structure tridimensionnelle des protéines et Jean-François Liégeois à l'aspect chimie pharmaceutique. A l'échelle mondiale, un grand nombre d'études ont utilisé ou utilisent des composés issus de venins animaux pour développer des médicaments, avec malheureusement relativement peu de succès 1. Le Pr Seutin donne l'exemple d'une toxine d'un cône marin, le ziconotide, qui avait été approuvée comme analgésique par la FDA mais qui a dû être retirée du marché en raison d'effets indésirables importants. " Dans d'autres domaines thérapeutiques que le système nerveux central, il y a des success stories incontestables comme la bivalirudine dans le domaine de la coagulation ou l'exénatide dans le cas du diabète ", tempère-t-il. L'exénatide (analogue des incrétines) est une forme synthétique d'un peptide isolé dans la salive d'un saurien, le Monstre de Gila (Heloderma suspectum). On peut aussi citer l'eptifibatide et le tirofiban, issus de serpents et utilisés dans les syndromes coronariens aigus pour leurs propriétés d'antiagrégants plaquettaires et d'antithrombotiques. Si les applications thérapeutiques font parfois défaut, certaines molécules tirées de venins servent d'outils pharmacologiques : " Elles ne deviendront peut-être jamais des médicaments mais elles sont très utiles pour identifier des cibles. En tirant les leçons du mode d'action et de la structure d'un peptide comme l'apamine, par exemple, on peut également faire du design d'autres molécules, d'alcaloïdes, etc. Cet aspect-là est également fort important ", souligne-t-il. Le cas des inhibiteurs de l'enzyme de conversion en sont une bonne illustration : dans les années 60, un pharmacologue brésilien, Sérgio Ferreira, observe qu'après morsure par le serpent Bothrops jararaca, les victimes font de fortes baisses de pression artérielle. " Au départ, la molécule qui avait été trouvée était un peptide isolé du venin de cette vipère, le téprotide. Des scientifiques ont déterminé quels étaient les éléments de structure cruciaux de ce peptide pour agir, ils ont ensuite synthétisé un dérivé, une molécule de type alcaloïde, le captopril qui a été le premier IEC mis sur le marché. Donc il n'y a pas que les peptides que l'on peut exploiter, en connaissant leurs mécanismes d'action, on peut faire des molécules qui y ressemblent et qui sont plus susceptibles, de par leurs propriétés physico-chimiques, de devenir des médicaments ", commente le spécialiste. Pour le moment, l'équipe liégeoise travaille essentiellement sur les canaux SK qui peuvent être bloqués par l'apamine : " Ces canaux SK modulent l'activité de neurones du système nerveux central et en partie de neurones dont le dysfonctionnement est impliqué dans la dépression par exemple, indique le Pr Seutin. Il a été montré qu'un blocage de ces canaux peut améliorer les phénomènes dépressifs chez les animaux d'expérience. On part là-dessus pour essayer de trouver des molécules qui pourraient être intéressantes à cet égard. On a trouvé une molécule qui, après administration systémique, a passé la barrière hémato-encéphalique et qui a un effet sur modèle animal ". " En ce qui concerne les toxines c'est la cible qui nous intéresse le plus pour le moment. Le programme lancé avec Loïc Quinton et la société de biotech (Alphabiotoxine) qui produit des venins est en train de commencer, il est possible que nous tombions sur des molécules qui pourraient avoir d'autres cibles, d'autres intérêts ". Les canaux ASIC (Acid-Sensing Ion Channel) qui ressentent l'acidose locale sont une autre cible des travaux de l'équipe de l'université de Liège. " En les bloquant, on espère pouvoir développer des médicaments analgésiques qui agissent en périphérie, à l'inverse des opiacés qui agissent dans le SNC. Pour le moment, les applications issues de substances venimeuses qui paraissent les plus convaincantes concernent l'agrégation plaquettaire, la coagulation, le diabète et la douleur ", conclut le Pr Vincent Seutin. 1. Pharmacological Res 2016 ; 112 : 30-36