...

Immensément populaire au cours de son existence, Joaquin Sorolla dont la dernière exposition londonienne datait de... 1908, connaît à nouveau les honneurs des cimaises britanniques, plus d'un siècle plus tard.L'exposition londonienne rend un vibrant hommage au peintre espagnol, chantre de l'intimité au grand air, et magnifiée en grand format. L'étendue de sa palette couvre aussi bien les portraits que les paysages, les loisirs que la rudesse de la vie au travail, le " désoeuvrement " que l'ouvrage, l'ombre que la lumière, laquelle transpire des personnages et jusqu'à l'eau ou la végétation : une lumière irradiante qui évoque Bonnard dans sa description du jardin de sa dernière et grande demeure au coeur de Madrid. Cette maison atelier madrilène (voir encadré) où le Valencien d'origine s'installe avec sa femme Clotilde Garcia del Castillo, qui lui donnera trois enfants.À l'instar de Bonnard, son épouse sera son quasi unique modèle féminin, décrite en pied dans une robe longue et noire (une rareté chez lui cette couleur), le regard empli de tendresse fixant son peintre de mari.L'humanité et la profondeur psychologique qui se dégagent de ses regards évoquent Vélasquez, comme son nu couché de dos rappelle l'Odalisque, mais sans miroir. La description de sa fille Maria en mantille se veut un hommage appuyé à Goya cette fois et à sa duchesse d'Elbe peinte par le grand Francisco au siècle précédent. Ce qui fera dire à l'écrivain Ibanez, contemporain de l'artiste, que Vélasquez est le grand-père et Goya le père pictural de Sorolla.Parfois nabi, dans " la sieste " qui montre le reste de la tribu familiale tout de blanc vêtue, couchée dans un océan de verdure, Sorolla, qui se veut de son temps, reste cependant un peintre naturaliste. Lequel décrit dans les années 1890, synonyme de l'effondrement de l'empire colonial espagnol, la rudesse de la vie des petites gens sous le soleil implacable : qu'il s'agisse des emballeuses de raisin, d'une famille en train de coudre une voile, ou d'une femme accusée d'avoir tué son nourrisson, assise sur le banc d'un train sous le regard aussi dépité que le sien de deux membres de la guardia civil en bicorne. Un réalisme social proche d'un Constantin Meunier qui s'illuminerait sous les rayons d'un astre du jour tyrannique. Comme chantait Aznavour : la misère semble moins pénible au soleil.Parfois, le peintre des loisirs en famille (qui rappelle parfois Manet, voire Franz Courtens ou les luministes), de la brise de mer, de la chaleur caressante de l'été, fait se rencontrer la blancheur des tenues marnes et bourgeoises de l'époque dont il fait partie, avec l'âpreté du monde du travail ouvrier : le Jeune pêcheur passe sur le rivage, sa prise sous le bras, tandis qu'en arrière-fond des enfants privilégiés batifolent dans les vagues.Le pur plaisir, enfantin, du bain, de gamins nus barbotant, couchés dans l'attente de la prochaine vague, tranche avec la conscience sociale affirmée précédemment. Point d'orgue de cette épiphanie de l'âge tendre, Le bateau blanc, Javéa, non pas étoile, mais toile de mer : deux garçons nus s'y accrochent à la proue de la barque dont le reflet éclabousse l'onde émeraude des flots.Proche d'un Émile Claus dans sa démarche, Sorolla célèbre souvent la vibrance radieuse de la vie.Mais tout n'est pas irréprochable chez ce maître oublié : la description des traditions espagnoles, notamment de personnes en costume folklorique manque pour le coup de cette humanité qui transpire (sous le soleil) ailleurs. Tout comme ses descriptions de paysages, lorsqu'ils sont amputés de présence humaine, telle cette Vue de la Sierra Nevada, paraissent brouillonnes, orphelines d'êtres. Ceci au contraire de la cathédrale de Burgos sous la neige, ou de la description des jardins de l'Alcazar de Séville, réalisation de l'homme, ce qui leur confère, involontairement ?, une sorte de présence absente, d'intimité fantomatique.Dans son propre jardin madrilène, qu'on imagine secret, son épouse et ses deux grandes filles, toutes trois assises sur un banc, sont magnifiées par des éclats de lumière qui viennent tacheter l'ombre protectrice.Une intimité émouvante cette fois, lorsque Clotilde est décrite au lit, son nouveau-né couché à côté d'elle. Sorolla se fait peintre du silence, du recueillement énamouré dans cette maternité horizontale, magnifique une fois plus, dans sa blancheur immaculée.Un blanc dont est parée son épouse Clotilde 20 ans plus tard, manipulant une caméra sur un rocher de Biarritz, sous le regard amoureux de son mari ; sa robe blanche, sur le fond bleu de l'océan, autre élément essentiel (le reflet d'une fontaine au travers de l'eau est une merveille) souvent de la technique fluide plutôt que liquide de l'artiste : une mer qui fait souvent office de ciel, rarement présent dans ses immenses toiles, même lorsqu'elles décrivent les blanches figures enfantines courant sur la plage au pied des vagues dont on croirait entendre le ressac dominé par les cris.Ces plaisirs simples des séjours balnéaires, tradition hispanique toujours bien ancrée aujourd'hui, trouvent leur point d'orgue en 1909, vers la fin de la carrière de Sorolla, dans cette grande peinture montrant Clotilde et Maria, devenue femmes, déambulant dans leurs tenues éternellement blanches : chapeau, foulard et parasol à la main, au bord de l'onde. Deux grâces intemporelles, deux demoiselles de la côte...