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Un hypocondriaque comme vous qui joue au médecin, c'est assez fort...Michel Blanc : Non, parce que l'hypocondriaque n'est pas le personnage. Même si je le suis, cela ne change rien : ce n'est pas parce que je joue un nazi que je le suis pour autant. Mon personnage privé n'a pas à interférer avec ce que je joue. Je scinde totalement ma vie privée et mes rôles : heureusement, car jouer ce que je suis ne m'intéresse pas.En tant qu'hypocondriaque, cela ne me gêne donc pas d'interpréter un médecin... mais cela ne me guérit pas pour autant ! (il rit).Je suis par ailleurs allergique à la cigarette et le réalisateur m'a obligé à fumer dans le film : je peux vous dire que j'en ai bavé.En tant qu'hypocondriaque, avez-vous peur des médecins ?Non, j'ai peur du diagnostic. Mon médecin généraliste, qui continue d'exercer à 83 ans et qui a été chef de service à Cochin en médecine interne, est génial : je fais preuve d'une totale confiance en son jugement.La thérapie par le rire, vous y croyez ?Dans le cas de la dépression, certainement. Des personnes me confient que lorsqu'elles n'ont pas le moral, elles se regardent une de mes comédies : ce qui est le plus beau compliment que l'on puisse faire. C'est un petit médicament à effet temporaire...Y a-t-il un lien entre le médecin que vous jouez et le service Uber eats dont fait partie au départ votre partenaire dans le film ?De facto, par le fait d'être appelé à des heures parfois indues et de se rendre chez les gens, soit pour livrer un plateau de fruits de mer, soit pour soigner un membre de la famille.Ceci étant, le nombre d'années d'études n'est pas le même et les tarifs non plus (rires). Bien que ceux des médecins ne soient pas forcément à la hauteur des efforts consentis au cours des études notamment, exception faite de ceux qui prolongent par une spécialisation en chirurgie esthétique par exemple (il sourit).Mais le généraliste de base n'est pas riche, comparé au nombre d'années d'études effectuées : il faut donc vraiment avoir la vocation, notamment au regard du nombre d'heures de travail fourni.Et ce que vivent les médecins urgentistes est éprouvant : avec des embouteillages de brancards, des sans-abris qui débarquent, des personnes avec des pathologies lourdes qu'il faut prendre en charge immédiatement.Il se fait que par un hasard pas très heureux, mon père est décédé pendant le tournage du film ; j'ai donc beaucoup fréquenté l'hôpital Cochin pendant mes heures de jour où je n'étais pas de garde... sur le film.Ceci étant, une fois sur le plateau, il n'y avait pas d'interférence avec ce que je vivais au niveau privé : j'étais acteur, et pas un comédien dont le père est en train de mourir.Avez-vous pensé à votre père en renvoyant le film ?Non, pas du tout. Je ne mélange pas ma vie privée et mes rôles, au risque de devenir fou. Et pour l'instant je ne suis qu'hypocondriaque (rires)Le travail de médecin de nuit et de livreur sont très solitaires : le film évoque ces solitudes croisées par ces deux personnages la nuit de Noël...Des solitudes nocturnes en l'occurrence, puisque cela existe aussi durant la journée, qu'il s'agisse des praticiens de SOS médecins qui se déplacent le jour, ou des livreurs de Deliveroo ou Ubereats.La différence est qu'il y a une heure où les livraisons s'arrêtent, car personne ne commande après deux heures du matin, même la nuit de Noël ; alors que le médecin, lui, est constamment sur le pont.Mais, en effet, dans les deux cas, ce sont deux solitaires qui attendent les " commandes " : l'un dans sa voiture qui reçoit les appels de la centrale et l'autre à vélo et sur son smartphone.Le film possède un côté Intouchables, notamment dans la description de différences sociales des deux partenaires de cet improbable duo ?Je n'y avais pas pensé en lisant le scénario, mais c'est vrai qu'il y a un air de famille.Deux milieux qui se rencontrent et qui ne devraient pas le faire, sauf si je lui avais roulé dessus et que je ne me sois pas arrêté... Dans ce cas-ci, je lui fonce dessus, mais il s'en tire indemne : il n'y a que le vélo qui est blessé. (rires)Quand on est réalisateur comme vous l'êtes également, est-on tenté d'intervenir ?Non. D'abord, il ne peut y avoir qu'un seul capitaine sur un navire ; ensuite, il n'y a rien de plus agaçant qu'un acteur qui se mêle de la réalisation : ne le supportant pas en tant que metteur en scène, je ne vais pas le faire subir à d'autres...Troisièmement, je ne veux pas me concentrer sur autre chose que mon jeu, qui est un boulot à part entière.Les rares fois où je suis allé voir Tristan Séguéla durant le tournage, c'était pour des répliques dont je sentais qu'elles devaient être dites autrement. Il y a réfléchi, mais la décision finale lui revenait.Mais dans ce cas, il s'agit de l'acteur s'adressant au dialoguiste, afin de pouvoir modifier un détail parce qu'il a du mal à sentir la vérité d'un élément du dialogue. Cela m'arrive également en tant que metteur en scène.Karine Viard, qui est très inventive, m'a par exemple trouvé des répliques qui se révélaient bien meilleures que ce que j'avais écrit au départ... même si je suis moi-même dialoguiste.Vous avez fait le grand écart au cours de votre carrière : d'un côté, vous avez joué pour Peter Greenaway, Roman Polanski et Robert Altman... de l'autre pour Gérard Pires, Pierre Tchernia et Dany Boon...J'ai même fait pire, j'ai tourné avec Michel Gérard, un très très mauvais film, Retenez-moi ou je fais un malheur. J'ai accepté d'y participer, non pas parce que le scénario était bon ou que Gérard était un metteur en scène que j'admirais, mais parce que l'on m'a dit : " Jerry Lewis vient tourner un film en France. Veux-tu être son partenaire ? ". Si j'avais refusé, je l'aurais regretté toute ma vie...J'ai fait ce choix à plusieurs reprises. Dans le film de Greenaway par exemple, je n'avais pas un rôle très long, mais le casting incluait John Gielgud, une de mes idoles shakespeariennes. Ma scène, sur plusieurs jours, se déroulait en sa présence. J'étais mort de trouille : vous imaginez ? Du Shakespeare en anglais, revu par Greenaway et avec Gielgud!Au cours de ma première séquence, non seulement j'étais à ses côtés, mais le réalisateur lui a demandé de me prendre la main. Et pendant que je disais mon texte, je pensais : il va demander à Greenaway pourquoi il a choisi ce petit Français, alors qu'il y a des centaines d'acteurs anglais capables de jouer Shakespeare. Un grand souvenir...Jean-Paul Rouve connaît un parcours semblable au vôtre : passé par la comédie, le dramatique, avant de devenir réalisateur lui-même ?C'est un type formidable et un immense acteur. J'ai eu la chance de travailler avec lui déjà à trois reprises : une fois en tant que comédien dans une de ses réalisations ( Les souvenirs), en tant que partenaire dans Les nouvelles aventures d'Aladin, et enfin en tant que réalisateur dont Jean-Paul fut l'interprète, Voyez comme on danse. Je rêve de refaire un film avec lui.Vous avez un passé de pianiste...Non un passif (il rit). J'ai joué en amateur : je n'ai plus de piano d'ailleurs à la maison depuis cinq ans. Je ne suis pas un improvisateur, je suis scolaire, janséniste : il faudrait que je retravaille mes partitions. Dans un hôtel, l'autre jour, il y avait un piano : j'ai appuyé sur quelques touches, en réalisant à quel point le contact physique avec le clavier me manquait.Et cela vous aide pour jouer, la musique ?Oui, car la comédie a la même exigence que la musique. C'est un mélange de tempo, de rythmes, de silences, d'accentuations et de respirations.Une réplique qui n'arrive pas au bon moment fait beaucoup moins rire. C'est comme un coup de cymbale.