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L'incidence des infections à pneumocoques invasives augmente après 50 ans et est sensiblement accrue chez les plus de 65 ans, les malades chroniques et les personnes à l'immunité compromise. Vu la mortalité considérable qui y est associée, la prévention par la vaccination revêt une importance cruciale. En Belgique, deux vaccins sont actuellement disponibles pour prévenir les infections à pneumocoques chez l'adulte. Quels sont les facteurs qui déterminent leurs places respectives dans le schéma de vaccination ? Pr Verhaegen : Nous disposons d'une part d'un vaccin conjugué qui couvre 13 sérotypes (VPC13) et d'autre part d'un vaccin polysaccharidique non conjugué qui en couvre 23 (VPP23). Tous les sérotypes contenus dans le VPC13 sont également présents dans le VPP23. Ces deux vaccins remplissent chacun un rôle bien spécifique à l'intérieur du schéma de vaccination. Le VPC13 permet d'obtenir une réponse immunitaire plus marquée que le VPP23. Ce vaccin conjugué à 13 valences induit en effet des titres d'anticorps plus élevés et un plus haut degré de protection contre les pneumonies à pneumocoques invasives et non-invasives provoquées par les sérotypes qu'il contient. Il est toutefois important, dans un second temps, d'administrer également le VPP23, justement parce qu'il contient davantage de sérotypes - 76,1% de ceux qui provoquent actuellement des infections à pneumocoques invasives dans notre pays (chiffres 2019), contre 32,3% pour le VPC13. C'est pour cette raison que le CSS insiste beaucoup sur l'administration du VPP23 après celle du VPC13. Comment expliquer les différences entre les deux vaccins en termes de potentiel immunogène et de degré de protection ? Le VPP23 contient les polysaccharides capsulaires de 23 sérotypes. Dans le VPC13, les 13 polysaccharides capsulaires en présence sont couplés à une protéine porteuse ; c'est pour cette raison que ce vaccin est dit " conjugué ". Cette particularité lui permet de stimuler non seulement l'immunité humorale, mais aussi l'immunité cellulaire liée aux lymphocytes T, avec à la clé d'une part une formation d'anticorps plus marquée et une meilleure protection et d'autre part une mémoire immunitaire plus prolongée avec une réaction immunitaire secondaire. L'ordre d'administration aussi a son importance...En effet. On donne toujours le VPC13 avant VPP23 : lorsqu'on fait l'inverse, la réponse anticorps au VPC13 est plus faible que s'il avait été administré en premier. Les mécanismes qui sous-tendent ce phénomène dit d'hyporéactivité restent jusqu'ici inconnus. L'intervalle entre l'administration du VPC13 et du VPP23 n'est pas le même dans tous les groupes-cibles. Pourquoi ? Le vaccin à 23 valences induit une meilleure réaction immunitaire lorsqu'il est administré un an après le vaccin à 13 valences plutôt qu'après un laps de temps plus court. Et chez les 65-85 ans en bonne santé qui ont déjà reçu le VPC13, on peut parfaitement se permettre d'attendre un an pour administrer le VPP23. Les adultes de la catégorie " à risque accru " et les sujets de 50 à 85 ans porteurs de comorbidités sont toutefois plus sensibles aux infections à pneumocoques que leurs homologues en bonne santé. C'est pour cela que nous choisissons, chez eux, d'élargir la protection à l'ensemble des 23 sérotypes vaccinaux le plus rapidement possible, soit concrètement après huit semaines - l'intervalle minimal pour induire une bonne réponse anticorps. Le texte de consensus dit " après au moins huit semaines " et " après au moins un an ". Cela ne rend-il pas la recommandation quelque peu élastique ? Je vous rejoins sur le fait que " après 8 semaines " et " après un an " eût été préférable et plus clair pour le médecin vaccinateur, d'autant qu'un an est une périodicité facile à appliquer. La précédente version de la directive (2014) préconisait d'envisager de revacciner après cinq ans les adultes de 50-85 ans porteurs de comorbidités sur la base de données supplémentaires et de l'évolution de l'épidémiologie. La nouvelle version est plus catégorique et recommande explicitement de revacciner après cinq ans. Pourquoi ce changement ? Comme je l'ai expliqué plus haut, le VPP23 contient actuellement plus de 70% de l'ensemble des sérotypes responsables d'infections à pneumocoques invasives. À l'époque de la rédaction de la précédente directive, ce chiffre était plus faible. L'évolution épidémiologique a donc accru l'importance du VPP23 dans la prévention de ces infections, ce qui explique pourquoi nous recommandons à présent une revaccination unique après cinq ans en présence de comorbidités. On peut aussi envisager de revacciner tous les cinq ans en cas de comorbidités graves, et la recommandation préconise même de toujours le faire chez les adultes qui présentent un risque accru d'infection à pneumocoques (après splénectomie, pose d'un implant cochléaire, etc.). En 2014, la recommandation d'envisager une revaccination après cinq ans en fonction de l'épidémiologie s'appliquait aussi aux adultes (de 65 à 85 ans) en bonne santé. En 2020, le texte de consensus précise qu'elle n'est plus recommandée dans ce groupe. Qu'est-ce qui a changé entre-temps ? Nous avons pesé les coûts et les bénéfices. Les séniors en bonne santé sont moins sensibles aux infections à pneumocoques invasives que les deux autres groupes-cibles, et nous avons donc décidé de ne plus recommander la revaccination après cinq ans dans ce cas spécifique. Un point important à cet égard est que la vaccination contre le pneumocoque n'est actuellement pas remboursée par l'assurance maladie et que les patients doivent donc en assumer le coût. Pourquoi revacciner spécifiquement après cinq ans ? La recherche a montré que les titres d'anticorps commencent à diminuer cinq ans après l'administration du VPP23. D'un autre côté, il est important de ne pas revacciner plus fréquemment, parce que cela provoque là aussi une hyporéactivité. Chez les adultes en bonne santé (de 65 à 85 ans), on peut aussi s'orienter vers un schéma de vaccination avec un seul produit. Quel est votre commentaire à ce sujet ? Ici des considérations financières entrent en jeu. Chez les personnes âgées en bonne santé, une dose unique du VPP23 assure une bonne protection. De cette façon on évite de dépenser les 75 euros que coûte le vaccin conjugé. Pour les patients moins fortunés, cela peut avoir son importance. Une recommandation particulière s'applique aux personnes qui font partie des groupes-cibles de la vaccination antipneumococciques et qui ont déjà reçu le VPP23 dans le passé, mais jamais le VPC13. Pourquoi ? Le CSS recommande que ces personnes aussi reçoivent à présent le VPC13, en raison de son immunogénicité plus grande. Cette recommandation s'applique aux sujets des trois groupes-cibles. Néanmoins, la condition pour administrer le VPC13 dans ce cas de figure est que la dernière vaccination avec le VPP23 remonte à au moins un an, sous peine de se heurter là encore au phénomène de l'hyporéactivité. Quid des plus de 85 ans ? Sur la base de la littérature, le CSS estime que la vaccination systématique contre le pneumocoque n'a pas de sens dans ce groupe d'âge, car la formation d'anticorps est très faible tant avec le VPC13 qu'avec le VPP23. Ce qu'il faut, c'est motiver les gens à se faire immuniser dès 65 ans plutôt que d'attendre qu'ils atteignent un âge avancé. S'ils sont vaccinés à un moment où ils ont encore une bonne réponse immunitaire, ils ont de fortes chances de rester durablement protégés en vieillissant, puisque le VPC13 stimule l'immunité cellulaire médiée par les lymphocytes T et la mémoire immunitaire. Nous partons donc du principe qu'ils continueront à produire un certain nombre d'anticorps lorsqu'ils entrent en contact avec un sérotype inclus dans le vaccin. Et plus celui-ci est administré tôt, mieux c'est: mieux vaut vacciner à 65 ans qu'à 70 ou 75, les études l'ont démontré. Y a-t-il des inconvénients à vacciner simultanément contre le pneumocoque et contre la grippe ? Il n'y a pas d'inconvénients ou de risques à administrer les deux vaccins de façon concomitante. La vaccination contre la grippe est même l'occasion rêvée de toucher également les personnes en bonne santé à partir de 65 ans pour les inciter à se faire immuniser contre le pneumocoque. Coupler les deux représente donc une excellente stratégie, qui a déjà largement prouvé sa pertinence. Rares sont actuellement les domaines des soins de santé qui ne sont pas affectés par l'épidémie du covid-19. Qu'en est-il des pneumocoques ? Assez étonnamment, et c'est une donnée nouvelle, nous voyons cette année beaucoup moins d'infections à pneumocoques invasives que d'habitude : leur nombre est tombé à deux tiers de ce qu'il était ces dernières années à la même période, ce qui est assez spectaculaire. L'explication n'est pas connue avec certitude, mais tient très probablement au confinement. Les pneumocoques se transmettent en effet par voie aérogène, circulant d'une personne à l'autre au travers des gouttelettes de salive. Il semblerait donc que leur propagation ait fortement diminué sous l'effet des mesures d'isolement instaurées au printemps. Du coup, la vaccination contre le pneumocoque est peut-être moins urgente ? Pas du tout. Lorsque l'épidémie du covid s'apaisera et que les contacts interpersonnels reprendront leur cours normal, l'incidence des infections à pneumocoques invasives retrouvera son niveau antérieur. S'ajoute à cela un argument d'actualité : si une personne contracte le covid-19, on peut s'attendre à ce qu'elle devienne aussi beaucoup plus sensible aux infections à pneumocoques, de la même manière que les patients qui ont eu la grippe sont plus sensibles aux infections à pneumocoques et à staphylocoques. Une bonne protection est donc importante. Attendez-vous une augmentation de la demande pour les vaccins contre le pneumocoque ? La demande va augmenter, parce que l'épidémie du covid-19 a suscité une prise de conscience quant à l'utilité de la prévention des infections, mais je ne m'attends pas à une pénurie de vaccins dans l'état actuel des choses. Je voudrais toutefois attirer l'attention sur la stratégie de nos voisins du nord, qui voudraient cet automne vacciner toutes les personnes âgées de 70 à 80 ans contre le pneumocoque - justement par crainte d'une sensibilité accrue à ce pathogène sous l'effet de l'infection à coronavirus. Si d'autres pays d'Europe suivent le mouvement, la demande va sensiblement augmenter... mais d'ici là, les producteurs auront eu le temps de se préparer.