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Le regard perdu dans les collines qui entourent son domaine à Fouron-Saint-Martin, l'ancien pharmacien nous raconte son histoire. " La ferme de mes beaux-parents date du 17e siècle, la maison de mes parents est à 200 mètres : c'est vraiment ici que nous avons nos racines. Lorsque j'ai terminé mes études, la loi d'établissement venait d'entrer en vigueur et je n'ai donc pas pu me lancer sans autre forme de procès. En fin de compte, nous nous sommes retrouvés à Engelsmanhoven près de Saint-Trond, où j'ai tenu mon officine pendant 40 ans. C'est à l'approche de la pension que m'est venue l'idée de me lancer dans le vin. Nous prenons volontiers un petit verre, il y avait déjà dans les Fourons un collègue viticulteur avec une certaine expérience et nous avions très envie de revenir dans notre région natale. C'est ainsi qu'a commencé l'histoire du domaine de Crutzberg ", résume-t-il.Des recherches avaient déjà révélé que le sol calcaire des collines entre Fouron-Saint-Martin et Teuven était comparable à celui de la Champagne. " Nulle part ailleurs dans la région on ne trouve un terroir d'une telle qualité ; nous avons donc planté 9000 pieds de raisins Chardonnay et Pinot Noir. Lorsqu'ils ont l'occasion de bien mûrir, nous pouvons en faire des vins non mousseux ; dans le cas contraire, ils don neront des mousseux. "Eugène Ernens nous confirme que la viticulture existait déjà dans notre pays avant l'époque de Napoléon, y compris dans sa région. " Le réchauffement climatique joue toutefois en notre faveur. Les premières années, la récolte s'étalait jusqu'au mois de novembre. En 2018, une année exceptionnelle, nous avions terminé dès septembre. 2019 a été plus difficile, avec des gelées nocturnes, de la grêle, des brûlures solaires et beaucoup de pluie, mais la récolte a malgré tout été plutôt bonne. "Son domaine ne manque pas d'atouts, souligne-t-il encore. L'orientation nord-sud protège les vignes des vents du nord, la forte pente permet à la pluie de s'écouler et les raisins reçoivent malgré tout suffisamment de soleil. La région est aussi relativement peu sujette aux gelées nocturnes, sans compter que les arbres qui couvrent le haut de la colline en direction de La Planck offrent une protection supplémentaire, explique-t-il en couvant le paysage d'un regard approbateur." C'est toujours excitant de soumettre le résultat à l'appréciation de tiers extérieurs. Notre première récolte, en 2012, était relativement modeste, mais elle nous a valu une médaille d'argent au salon Mundus Vini en Allemagne (où sont jugés quelque 6.000 échantillons en provenance de 40 pays, ndlr). C'est évidemment un atout pour la vente. " 2018 aussi a été une année exceptionnelle pour le Domaine de Crutzberg : aux salons Mundus Vini des Pays-Bas et de Bruges (où sont jugés des vins produits respectivement dans le Benelux et en Belgique), tant nos mousseux que nos non mousseux ont décroché des médailles d'or, d'argent et de bronze - six en tout ", poursuit l'ancien pharmacien avec une certaine fierté.Il se rend aussi régulièrement chez des collègues viticulteurs dans la région de Bourgogne ou dans le Sud de la France. " C'est toujours très instructif. Je suis toutefois convaincu que nos vins tireraient leur épingle du jeu contre des produits français dans des dégustations à l'aveugle. "Grâce au développement du tourisme (de weekend) dans les Fourons, le Domaine de Crutzberg accueille aussi régulièrement des visiteurs. " Du coup, notre production de l'année est souvent épuisée dès l'année suivante ! Nous n'avons plus que le millésime 2017 en stock pour les vins mousseux, qui demandent une fermentation plus longue. Pour les non mousseux, il ne me reste que du 2018. " Ses flacons sont également disponibles dans les commerces spécialisés et les restaurants des environs, mais tout ceci témoigne surtout de l'intérêt que rencontrent aujourd'hui les vins belges.Plus qu'un hobby, Eugène Ernens voit la viticulture comme une véritable passion. " Le vin m'a toujours intéressé. Mon bagage de chimiste et de pharmacien m'a certainement aidé dans sa production, mais dans les faits, il faut repartir de zéro chaque année. Le fait d'être occupé en pleine nature (il y a toujours quelque chose à faire dans le vignoble), l'amour de ma région natale et le plaisir de pouvoir déguster mes propres produits à la fin de la saison m'apportent une immense satisfaction. " En plus, le virus de la viticulture semble héréditaire... " Ma fille, qui m'a succédé comme pharmacienne, a en effet suivi une formation dans ce domaine. Elle a encore trop de travail à l'officine pour le moment, mais qui sait... et entre-temps, nous ne sommes pas près d'arrêter. Mais assez parlé : passons à la dégustation ! "