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Le Pharmacien : Votre passion pour les forêts est-elle ancienne ? Didier Van Cauwelaert : Non, je suis né près de la mer [à Nice, en '60] et je n'ai découvert la forêt qu'en '85, lorsque j'ai acheté une maison dans celle de Rambouillet. J'ai eu un rapport très fort avec l'un de deux poiriers plantés là et quand il est tombé en 2007, ce fut un choc. Au début, je pensais écrire un essai mais l'éditeur Michel Lafon m'a convaincu d'en faire un roman. On se met dans la peau d'un arbre comme dans celle d'un humain ? Didier Van Cauwelaert : Non, son fonctionnement est différent. Je me suis complètement déshumanisé, pour me regarder de l'extérieur en tant qu'humain. Cela réclame une mise en condition très importante. J'ai ensuite procédé par tâtonnements, me fiant à l'intuition et à l'imaginaire à partir d'éléments scientifiques : tout ce qui est dit sur l'arbre est vrai. L'arbre a-t-il un 'moi' ? Didier Van Cauwelaert : C'est Tristan lui-même qui s'interroge sur sa porosité par rapport aux sentiments, aux émotions, aux traumatismes, aux violences, aux amours. Mais aussi à l'inspiration du poète ou à la vénération religieuse. Il est le dépositaire des souffrances des hommes, de Dreyfus ou de cette femme brûlée comme sorcière. Votre livre se déroule sur plusieurs décennies, avec de fréquents retours dans le passé. Comment l'avez-vous construit ? Didier Van Cauwelaert : L'idée de départ est d'entrer dans la mémoire d'un arbre qui n'est plus relié à ses racines. Sa mémoire est libre, et peut donc être happée par le passé mais aussi par la pensée des vivants. Il couvre une histoire de trois ans, tout en ayant une vie posthume à travers les bûches puis la sculpture. Parallèlement, il est toujours ramené à ce point de départ, jusqu'à la découverte du drame de ses origines. Pourquoi avoir choisi une fillette mutique pour assurer sa postérité ? Didier Van Cauwelaert : Il n'y a pas de hasard. Si vous nouez un lien avec un arbre, c'est que vous avez des problèmes avec les humains. Je voulais que cette fillette soit sculptrice car le travail de la matière me passionne, je vois tout ce que l'artiste y met de ses traumatismes, de ses passions. Et j'ai imaginé ce que la matière elle-même peut ressentir dans ce travail-là. L'arbre perçoit toutes les douleurs, particulièrement les silencieuses, les mémoires occultées qui ont le plus de densité. Comment avez-vous choisi les événements historiques qui sont évoqués ? Didier Van Cauwelaert : J'ai traité ceux qui me passionnent : l'histoire des Jansénistes, les phénomènes hallucinants qui se sont produits dans un cimetière... J'imagine aussi la rencontre entre Dreyfus et le général Mercier qui a décidé de sa culpabilité. Il sera le seul, au Sénat, à ne pas avoir voté sa réhabilitation. Pourquoi une partie de votre roman se passe-t-il en Amazonie, dans un univers chamanique ? Didier Van Cauwelaert : C'était intéressant d'avoir le point de vue de l'arbre sur les chamanes. C'est un arbre d'Île de France qui a grandi dans un univers rationnel et ne peut comprendre cette forêt collectiviste et magique... L'un des personnages les plus singuliers, c'est un petit voleur devenu un notable politique... Didier Van Cauwelaert : Les chemins de la rédemption m'intéressent. Au lieu de vendre la sculpture qu'il a volée, il va la garder. C'est ce lien qui va lui permettre, lui qui est isolé comme homosexuel et non pratiquant, de ne pas sombrer totalement dans la délinquance. C'est également par ce chemin détourné qu'il va découvrir l'amour.