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En mai dernier, en France, les Académies nationales de médecine, de pharmacie et de chirurgie ont lancé une alerte sur le risque de pénurie de dispositifs médicaux (DM), notamment implantables (DMI), à l'horizon du 26 mai 2024. "Ce risque est réel si aucune mesure n'est prise pour parer au goulot d'étranglement constitué essentiellement par les organismes notifiés (ON) chargés du marquage CE de ces dispositifs en application de la nouvelle réglementation européenne UE 2017/745, car ils sont insuffisants en nombre et manquent de moyens. En effet, tout dispositif non labellisé à cette date butoir ne pourra plus être commercialisé et donc utilisé au bénéfice des patients"."Ayant pris conscience de ce risque, le ministère français de la santé a demandé officiellement le 22 septembre dernier à la Commission Européenne une prolongation de la période transitoire. Cette proposition doit être maintenant validée par l'ensemble des 27 pays de l'Union Européenne. La Fédération Européenne des Académies de Médecine (FEAM), également préoccupée par cette importante question de santé publique, souhaite faire sienne cette recommandation et s'est associée aux démarches en cours. Ce report de mise en application ne devrait pouvoir s'appliquer qu'aux produits dont les fabricants auront montré leur détermination à une nouvelle inscription par le dépôt d'un dossier de validation (même incomplet) à la date limite initiale de mai 2024 et l'identification dans les mêmes délais des produits considérés comme indispensables, c'est-à-dire sans solution alternative", peut-on lire dans le communiqué commun des Académies nationales françaises et de la FEAM, auxquelles s'est jointe l'Académie royale de Médecine de Belgique. RecommandationsEn conséquence, ces Académies font 4 recommandations:-la prolongation d'au moins 2 ans de la période transitoire de la mise en application du règlement UE 2017/745, ainsi que l'ont déjà préconisé sept états-membres de l'UE;-que cette prolongation porte essentiellement sur les DM et DMI parfaitement éprouvés (sans problème de sécurité relevé par le contrôle annuel exercé par l'ON ou sur les données de matériovigilance (fabricants, ON, Agences sanitaires)), déjà marqués CE de 1991 à 2021 et pour lesquels les fabricants ont manifesté le souhait de les maintenir sur le marché par le dépôt d'un dossier de validation (même partiel);-que les praticiens utilisateurs de ces DMI fassent en sorte que ceux-ci soient inscrits systématiquement sur des registres de suivi, en relation avec les industriels responsables de leur matériovigilance;-que la liste des DM et DMI indispensables, c'est-à-dire sans alternative valable et non encore déposés ou en difficulté de dépôt, soit déterminée rapidement en relation avec leurs utilisateurs, afin d'éviter leur disparition préjudiciable à la santé des patients.Inquiétudes belgesToutes ces craintes sont confirmées par Marc Gryseels, administrateur délégué de Bachi, l'association belge des entreprises de l'industrie des médicaments en vente libre et des produits de santé vendus en pharmacie: "Avant le Brexit, il y avait 60 organismes notifiés agréés en Europe, après, on est tombé à 10-12, et aujourd'hui, il y en a 35. Or, dans le cadre de la modification de la législation sur les DM, tous ces produits doivent se faire recertifiés avant mai 2024 et le délai actuel est de 18 à 24 mois. Il est donc déjà trop tard pour ceux qui n'ont pas encore déposé leur dossier. De février 2021 à octobre 2022, 8.100 dossiers ont été déposés et seuls 2.000 certificats déjà été accordés. Pour l'année 2024, 17.000 dossiers doivent être agréés et en 2023, plus de 4.300! Soit un total de plus de 22.000 dossiers à agréer, auxquels il faut ajouter les 6.000 encore en attente. Ceci montre l'ampleur de la problématique..." De plus, la rareté des ON a fait monter les coûts: "Ils choisissent les dossiers, leur rythme de travail et leur prix. Ce qui explique pourquoi les producteurs de DM sont dans des conditions inextricables: ils doivent absolument trouver un ON et les prix sont devenus exorbitants". Marc Gryseels se dit particulièrement inquiet pour les petites sociétés: "Les autorités n'ont pas idée des conséquences dans certains domaines. Par exemple, dans l'orthodontie, beaucoup de DM sont fabriqués par le spécialiste lui-même. Autre exemple, les sprays à base d'eau de mer pour nettoyer le nez (1/5 ont le statut DM): ce sont des nébulisateurs, il y a donc une action mécanique, et l'eau de mer contient des minéraux etc, il y a donc une action métabolique, dès lors, peuvent-ils rester DM? Personne ne sait aujourd'hui !"Que faire?Bachi agit à deux stades. "Au niveau européen, dans le cadre de l'AESGP (Association of the European Self-Care Industry), nous demandons qu'il y ait une harmonisation sur l'interprétation des textes relatifs aux produits de santé, et qu'il y ait une révision du délai pour finaliser les certifications du fait du manque d'ON. On a aussi une action au niveau belge sur l'interprétation nationale parce que malheureusement ces textes européens donnent une ligne de conduite mais ils laissent place pour l'implémentation nationale". L'établissement d'une liste des produits essentiels sans alternative est en route à l'Europe. "Je suis dans la Commission qui s'occupe des indisponibilités de médicaments et j'ai proposé de faire une liste similaire pour les DM. Mais les DM sont régulés au niveau européen alors que pour les médicaments, beaucoup de procédures sont encore nationales. Faire cette liste pour les DM est donc plus complexe et comme il y a cette modification de législation, qui dit qu'un produit va rester sur le marché? Si le sérum physiologique n'est plus disponible, ce n'est pas critique pour les patients, par contre, s'il n'y a plus de respirateurs..."L'UE est consciente de cette problématique des 22.000 produits en attente de certification pour les deux années à venir, assure l'administrateur délégué de Bachi: "L'annonce de ce changement de statut date d'il y a 5 ans, mais il a été mal estimé au départ et il a été confronté au Brexit et puis à la pandémie. Ces situations changent la donne, mais certaines sociétés s'y sont pris à temps et sont certifiées (2.000DM). Dès lors, faut-il pénaliser ceux qui s'y sont pris à temps ou faut-il avant tout sauvegarder les produits qui sont sur le marché et allonger la période pour se faire agréer? Comme il en va de la santé publique pour plusieurs de ces produits, je pense que l'on va vers une extension de la période de transition. Etant donné qu'il est question de santé publique, l'urgence devient différente et il faut s'en occuper dare dare, on ne peut pas continuer à avancer à la lenteur actuelle. A l'époque où il y avait 60 ON, il n'y avait pas de révision en route. On avait estimé qu'il faudrait au moins multiplier leur nombre par 5 pour assumer ce changement. Il faudra donc peut-être 5 ans pour gérer ce flux..."