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Apple pourra-t-il continuer à livrer ses iPhones ? La question s'est posée suite à l'épidémie de coronavirus qui sévit en Chine. C'est qu'au-delà du bilan humain, au-delà aussi du ralentissement économique déjà attendu par ricochet en Europe et aux Etats-Unis, on a pris conscience du fait que les entreprises occidentales dépendaient de leurs fournisseurs chinois dans des proportions considérables. Une Chine durablement confinée pourrait entraîner la mise à l'arrêt de nombreuses fabrications en Occident. On sait à quel point c'est vrai pour la technologie grand public. On sait moins que cela vaut également dans un tas d'autres domaines, y compris l'industrie pharmaceutique. Un exemple basique: le paracétamol. La Chine assume 60 à 70 % de la production mondiale!La menace est prise très au sérieux. A Paris, l'Académie nationale de Pharmacie (qui tiendra une "séance délocalisée" à Bruxelles le 15 mai) a déclaré le 12 février: "L'épidémie de coronavirus pourrait faire peser une grave menace sur la santé publique en France et en Europe, dans la mesure où 80% des principes actifs pharmaceutiques utilisés en Europe sont fabriqués hors de l'espace économique européen, dont une grande partie en Asie". L'association américaine Bulk Pharmaceuticals Task Force (BPTF) confirmait le même jour, en parallèle avec son homologue European Fine Chemicals Group (EFCG) "Pour plusieurs médicaments génériques, plus de 80% des matières de base sont produites à l'international, rendant vulnérables l'Europe et les Etats-Unis face à tout incident qui pourrait perturber la chaîne d'approvisionnement".A noter que la province d'Hubei, foyer de l'épidémie, pèse lourd dans la production de ces matières premières pharmaceutiques, comme l'a souligné le ministre allemand de la Santé Jens Spahn. Interrogé par le magazine L'Usine nouvelle, un porte-parole de France Chimie précisait de son côté que " certaines matières premières ne peuvent être importées que de Chine". En attendant, la priorité est de repérer les ruptures d'approvisionnement possibles. Suite à la conférence extraordinaire des ministres européens de la Santé du 13 février, l'Agence européenne du médicament (EMA) a été chargée d'analyser les risques en question. Le gouvernement britannique a adressé un message identique au secteur pharmaceutique.Comme le confirme l'américaine Rosemary Gibson, auteure de l'ouvrage China Rx, ce sont surtout les médicaments génériques qui seraient frappés de pénurie. Sous réserve que les génériques sont largement dominants dans certains domaines. Au niveau mondial, ils couvrent ainsi 80% des prescriptions d'antibiotiques. Certains pourraient objecter que la Chine n'est pas le seul fournisseur de génériques: c'est même l'Inde qui est numéro 1 mondial. Cette objection relèverait toutefois d'un malentendu: comme expliqué plus haut, la mainmise chinoise ne concerne pas tant les médicaments (génériques) que les matières premières nécessaires à leur fabrication. En témoigne l'avertissement lancé par Umang Vohra, patron de Cipla, une des principales entreprises pharmaceutiques indiennes, interrogé par le Financial Times (FT) : " Une mise à l'arrêt de la Chine au-delà de la fin février pourrait entraîner de très importantes pénuries dans la chaîne de production ". Et d'expliquer que les matières premières en provenance de Chine sont essentielles dans des domaines tels que les antibiotiques, les médicaments contre le diabète, les antidouleurs, ou encore les antirétroviraux utilisés dans le traitement du VIH. On estime que l'industrie pharmaceutique indienne dépend de la Chine pour 70% de ses approvisionnements.Ce n'est pas d'hier que certains pointent du doigt le danger d'une rupture d'approvisionnement de l'Occident en médicaments. En décembre, juste avant que n'éclate l'épidémie de Covid-19, l'European Fine Chemicals Group attirait l'attention sur les risques d'approvisionnement et plaidait pour une relocalisation en Europe des technologies et capacités de production. De son côté, l'Académie nationale de pharmacie française rappelle qu'elle a lancé l'alerte dès 2011.Outre-Atlantique, une réunion prémonitoire s'est tenue en octobre dernier, à Washington: en commission de la Chambre, on discutait de la dépendance des Etats-Unis à l'égard de la Chine pour les médicaments ! Faisant le parallèle avec les terres rares, sur lesquelles la Chine détient un quasi-monopole et dont elle a plusieurs fois freiné les exportations, un intervenant a mis en garde contre l'arme dont ce pays dispose en matière de médicaments. L'actuelle épidémie de coronavirus pourrait nourrir une volonté politique de relocalisation de l'industrie pharmaceutique, aux Etats-Unis comme en Europe.