...

La 11e cérémonie des Hera Awards a eu lieu le 25 avril à Liège. Ces prix récompensent des candidats qui se sont distingués par une approche systémique du développement durable, en tenant compte des dimensions sociale, environnementale, économique et participative. L'un des prix sur la santé durable a été remis à Éléa Piccard pour son travail de mémoire en santé publique à la faculté de médecine de l'ULiège (septembre 2022), sur le partenariat patient asthmatique/pharmacien d'officine, gage d'un environnement plus sûr et d'une santé mieux gérée. Pourquoi s'est-elle intéressée à ce sujet? "Je suis ergothérapeute en revalidation pulmonaire au CHU de Liège. Dans ma pratique, je réalise avec les patients des séances d'éducation à la bonne utilisation des inhalateurs. Progressivement, je me suis interrogée sur leur impact environnemental. Dans la littérature, j'ai découvert que les puffs à gaz propulseur ont une empreinte carbone importante par les gaz à effet de serre qu'ils émettent. Par exemple, en 2021, les puffs de Ventolin vendus en province de Liège ont émis autant de CO2 que 411 voitures. Et ceci pour une seule sorte d'inhalateur, dans une seule province, en un an. Sur ce constat, je me suis demandé comment intégrer une pratique plus respectueuse de l'environnement dans l'éducation du patient. J'ai orienté ma recherche vers les pharmaciens d'officine parce qu'ils sont amenés à réaliser des séances éducatives sur la bonne utilisation des inhalateurs, notamment via le BUM asthme." Dans l'approche à 360° prônée par la Fondation des générations futures, la question des déchets se pose aussi. "Actuellement, il n'existe pas de système de recyclage des inhalateurs. Dans la littérature, ils recommandent à défaut de les ramener à la pharmacie pour qu'ils soient incinérés avec les autres médicaments. En France et en Suisse, ils ont mis en place un système de recyclage spécifique pour les inhalateurs, ce qui n'est pas encore le cas chez nous." Pour sa recherche, Eléa Piccard a mené des entretiens semi-directifs auprès de 13 pharmaciens de la province de Liège, ce qui lui a permis d'identifier les freins et les leviers à leur engagement dans ce type de pratique. "Apporter un aspect plus durable dans l'éducation du patient permettrait une approche systémique à 360°, note-t-elle. Par exemple, si les pharmaciens ou les médecins étaient conscients de l'impact environnemental des inhalateurs, ils pourraient accompagner le patient vers un choix moins polluant comme les inhalateurs à poudre sèche et favoriser leur bonne utilisation. Ceci permettrait de réduire les gaz à effet de serre et donc d'avoir un impact positif sur l'environnement, la santé de la population et aussi sur les coûts généraux qui y sont liés." Dans ses conclusions, Eléa Piccard met en avant différentes pistes d'action durable à côté de la promotion d'inhalateurs moins polluants, comme l'installation de filières spécifiques de recyclage pour les inhalateurs et une plus grande implication de tout ce qui se situe en 'amont' de l'officine: médecins prescripteurs, firmes et délégués commerciaux, réglementations, etc. "Il serait également intéressant d'intégrer cette approche environnementale dans la formation des professionnels de santé, mais aussi dans les pratiques éducatives en général." Pour Geneviève Philippe (département de pharmacie, ULiège), co-promotrice, "ce mémoire bouleverse un peu les habitudes des pharmaciens d'officine qui jusqu'à présent ont souvent été amenés à délivrer du matériel à usage unique. A côté des aspects santé et hygiène qui vont continuer à primer pour un professionnel de santé, ce mémoire met l'accent sur un rôle à prendre dans l'accompagnement des patients dans des pratiques plus durables. Le pharmacien pourrait s'y engager facilement, par exemple en sensibilisant les patients asthmatiques au fait que s'ils prennent bien leur traitement de fond, ils vont moins utiliser les traitements de secours qui sont souvent des puffs pressurisés avec des gaz dont l'empreinte carbone n'est pas négligeable. Il peut privilégier l'utilisation d'un traitement à base de corticostéroïdes inhalés, disponibles sous forme d'inhalateurs à poudre. Rien que grâce à ces actions, les pharmaciens peuvent s'engager simplement dans une approche plus durable." "Ce travail repose sur cette observation, maintenant bien établie, que la principale source de pollution dans les lieux de soins est liée à la prescription de matériel pharmaceutique, souligne le président du jury en santé durable, Grégoire Wieërs (médecin interniste, St Pierre Ottignies, et membre fondateur du projet Hôpital en transition). Ensuite, il s'agit d'une approche transversale qui touche à la fois le prescripteur et le pharmacien dans l'objectif d'atteindre des co-bénéfices pour la santé du malade, en changeant la façon dont on prescrit, et pour l'impact environnemental. Ce qui semble être la meilleure façon de concevoir le développement durable." La recherche d'Eléa Piccard a déjà eu des applications très concrètes dans sa pratique professionnelle: "Maintenant, j'oriente mes patients pour qu'ils demandent à leurs pharmaciens s'ils veulent bien reprendre leurs inhalateurs. J'essaie aussi de sensibiliser mon service pour passer aux inhalateurs en poudre, mais là, on ne peut pas vraiment intervenir dans le choix. Les pharmaciens se retrouvent dans les mêmes difficultés parce qu'ils doivent respecter la prescription du médecin. Actuellement, on peut seulement faire de l'éducation à la bonne utilisation des inhalateurs, pour essayer de diminuer un maximum les gaz à effet de serre." Par ailleurs, tous les inhalateurs ne sont pas équivalents. "Certains médicaments existent sous les deux formats, gaz et poudre, mais certains patients ne savent pas utiliser les puffs en poudre. Ensuite, pour les inhalateurs à courte durée d'action, il n'existe pas encore d'alternative en poudre sèche. C'est pourquoi mieux les patients font leur traitement de fond, moins ils auront besoin de ces dispositifs de secours. Pour l'instant, il faut plus jouer sur cet aspect là." "Enfin, il existe des systèmes sous forme de vapeur qui sont aussi une alternative plus écologique et qui ne demandent pas un débit respiratoire plus important de la part du patient. Tout le monde ne peut pas utiliser le même type de puff, c'est au médecin de choisir et de trouver la meilleure alternative. Cela pourrait se faire en collaboration avec le patient", conclut la lauréate.