Pour la jeune pharmacienne Claire Defrance, la croix verte, symbole de la pharmacie, prend définitivement un double sens: celui d'une profession de santé au service des patients et celui d'une activité qui doit se réinventer en étant plus écoresponsable et éthique.
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Une envie jamais démentie de faire des études scientifiques et le fait d'avoir en quelque sorte "grandi" dans une pharmacie, celle tenue par son père, ont guidé les pas de Claire Defrance vers la faculté de pharmacie de l'UNamur et puis vers celle de l'UCLouvain pour les masters. Diplômée en 2012, elle a récemment repris la gérance de la pharmacie paternelle, une petite officine de quartier située à Jette, dans le nord de Bruxelles. D'où vient cet intérêt pour la pharmacie "verte"? "L'écologie a toujours été importante pour moi. J'ai eu un vrai déclic lorsque j'ai vu le film 'Demain' (de Cyril Dion et Mélanie Laurent, ndlr). Ça a été un électrochoc, je me suis rendu compte à quel point mes actions pouvaient avoir un impact: c'est la métaphore du petit colibri qui fait sa part. Je me suis posée énormément de questions sur mes habitudes de vie, je trouvais que je pouvais aller beaucoup plus loin et j'ai suivi une formation organisée par Quinoa (1), une asbl qui réfléchit sur l'impact de notre alimentation sur l'écologie. Par la suite, j'ai beaucoup changé pour faire du zéro déchet, pour acheter en vrac, local, de saison et bio, je suis devenue végétarienne, j'ai changé mes habitudes pour les voyages et les transports en général... Tous ces changements sont arrivés petit à petit et, à présent, ils ont pris une place importante dans ma vie, je me sens mieux par rapport à mes actions au quotidien qui sont en cohérence avec mes valeurs", explique-t-elle. Une fois ces transformations actées dans sa vie personnelle, sa vie professionnelle s'est retrouvée en décalage total. "Face à cette situation, soit je me sentais mal au point de partir et de trouver un autre travail -ce qui aurait été dommage parce qu'être pharmacienne est vraiment ce qui m'intéresse- ; soit j'essayais d'améliorer les choses dans ma pharmacie -ce qui est beaucoup plus riche que de partir". Pour se donner les moyens de ses ambitions vertes, Claire Defrance a décidé de suivre une formation d'éco-conseillère à l'Institut Eco-Conseil à Namur (2). Commencée en janvier 2020, elle se termine en ce mois d'avril. "L'éco-conseiller est un accompagnateur de changement. Cette formation porte sur la communication et la gestion de projet, elle donne aussi des pistes pour se former sur différents thèmes (déchets, biodiversité...). Le but est d'arriver à ce qu'un projet se fasse de manière participative, grâce à l'intelligence collective. Cette formation m'a vraiment appris comment faire jouer le groupe pour arriver à installer des changements, ne pas imposer son projet mais le faire émerger des envies de chacun. C'est beaucoup plus intéressant et pérenne". Dans cet ordre d'idée et dans le cadre du projet qu'elle développe au cours de sa formation d'éco-conseillère, Claire Defrance a lancé, en janvier dernier, un appel sur Facebook et via le groupement Dynaphar, pour inciter les pharmaciens intéressés à participer à des réunions de brainstorming. "Mon idée c'était de se rassembler, plutôt que de rester chacun chez soi. Beaucoup font des choses dans leur pharmacie, il est intéressant de les partager". Ce premier appel a été bien accueilli: 30 à 40 personnes se sont montrées intéressées et 8 ont participé aux réunions (1 par mois). "Le but des premières séances était de voir ce qui pose problème actuellement en pharmacie, pour avoir une vision commune comme point de départ. J'ai trouvé ces réunions très intéressantes parce qu'il y avait des choses auxquelles je n'avais pas pensé comme l'impact énergétique dans la pharmacie, la pollution de l'eau par les médicaments... J'étais focalisée sur les déchets et la mobilité or, c'est beaucoup plus large", reconnaît-elle. La dernière réunion en date s'est tenue le 25 mars, les 6 participants y ont réfléchi aux actions à mettre en place. "Après les brainstormings où les idées allaient un peu dans tous les sens (vente au comprimé, manque de traçage de la production des molécules...), on s'est dit qu'il serait intéressant de se lancer dans une première action. Nous avons ainsi décidé de faire un référencement de produits OTC qui répondent à des critères à la fois scientifiques, écoresponsables et éthiques. On va essayer d'avoir plus d'informations sur les conditions réelles de production de différentes spécialités, de façon à pouvoir répondre aux questions des patients et leur proposer quelque chose qui correspond à nos trois critères. Vu la tâche que cela représente, il pourrait s'agir d'un thème de travail de fin d'étude pour un étudiant. En attendant, chacun continue de son côté à diminuer les déchets, à parler de notre démarche aux délégués pour leur faire comprendre qu'on ne souhaite pas recevoir d'office des présentoirs, des publicités, etc." Avant de suivre cette formation, la pharmacienne bruxelloise avait commencé à donner une couleur plus verte à la pharmacie dont elle s'occupe en conscientisant ses collègues, notamment sur la question du tri, en développant le vrac et les préparations maison, histoire de limiter les emballages. "Les préparations maison marchent super bien, en revanche, c'est peut-être encore trop tôt pour le vrac (shampooings, sirops contre la toux sèche, vitamine C...), a fortiori en temps de pandémie. Par ailleurs, cela nécessite aussi de réfléchir à la réorganisation spatiale de la pharmacie". A côté de la question des déchets, la mobilité est un autre point d'intérêt, celle du personnel, mais aussi les livraisons de la pharmacie à une MRS et celles des firmes. "Il est normal que les grossistes livrent plusieurs fois par jour mais pour ce qui est des autres commandes, il y a des choses à faire pour limiter les quantités de caisses et les trajets. Ma pharmacie livre un home de personnes âgées et nous avons une réflexion pour le faire à vélo, ce qui soulève d'autres questions comme le risque de vol". "Énormément de choses posent encore problème, nous devons voir sur quoi on peut avoir facilement un impact. En plus de la gestion des déchets, on doit réfléchir à leur prévention. Je me pose par exemple souvent la question de savoir pour- quoi les dates de péremption sont toujours bloquées à 5 ans, alors que des études ont montré que 40 ans après des médicaments étaient toujours efficaces", souligne-t-elle. "On pourrait conscientiser les patients sur l'impact écologique de la pharmacie, en les stimulant à ramener les vidanges, par exemple, c'est déjà un premier pas. Après, c'est une porte d'entrée pour une réflexion dans leur quotidien. Le pharmacien est un éducateur de santé et de prévention, or la santé humaine est en lien total avec l'écologie et on peut difficilement être en bonne santé si la planète est malade", estime Claire Defrance. La pharmacie verte passe aussi par l'observance. "Sensibiliser à la compliance et limiter la surconsommation sont des choses déjà ancrées dans ma vision du pharmacien. Actuellement, la sensibilisation sur l'utilisation responsable des antibiotiques est assez avancée". "Il y a clairement une réflexion chez les patients aussi et une demande pour des produits plus naturels, pour produire moins de déchets, un questionnement par rapport aux firmes... Ce genre de projet pourrait donc toucher un public assez important. C'est pour ça qu'un écolabel avec une vraie charte derrière pourrait être intéressant. Il n'est pas facile de conseiller des produits plus verts ou une plante pour en remplacer une autre en voie d'extinction... On vous explique par exemple que telle huile essentielle est très chère parce qu'elle est très rare! Je n'ai pas envie de participer à ce que cette plante soit encore plus rare. Il faut donc avoir une idée des conditions de production des plantes et des spécialités... En même temps, il ne s'agit pas non plus de faire du Greenwashing, je veux vraiment qu'il y ait une réflexion suivie par des actions concrètes", insiste-t-elle. Claire Defrance est bien consciente que ce sujet nécessite une réflexion globale et qu'on ne changera pas le monde en 30 jours... "C'est aussi quelque chose que j'ai appris au cours de ma formation: ça prend du temps! Quoiqu'il en soit, je suis contente de voir que je ne suis pas la seule à me poser ce genre de questions. Des gens participent aux réunions que j'ai organisées, et j'ai eu aussi énormément de messages de soutien de pharmaciens qui me disent que ce n'est pas le moment pour eux, qu'ils n'ont pas le temps de s'investir mais qu'ils soutiennent l'initiative à 100%. C'est super motivant de voir qu'il y a une envie de changer les choses!". (3) "Notre métier n'arrête pas d'évoluer, il essaye d'être plus en phase avec la réalité, je pense que les choses pourraient changer petit à petit. Il ne faut pas se décourager. On verra pour la suite mais, dans un premier temps, on peut faire notre part, à notre niveau, comme le colibri. Après, si on est nombreux, ce sera un groupe qu'il faudra écouter à d'autres niveaux". Pour l'instant, l'UPB semble avoir un intérêt pour ce sujet, quant à l'APB, elle mène une réflexion sur le pharmacien du futur, qui, en toute logique devrait aussi prendre ce pli. Dans l'immédiat, l'objectif de Claire Defrance est de terminer sa formation d'éco-conseillère et ensuite que son projet de réunions avec les pharmaciens continue: "Notamment quand on se mettra en action: comment faire pour que ce soit durable? Comment rassembler d'autres personnes?"Rendez-vous est pris pour voir à quel rythme la pharmacie 3.0 va se "verduriser"...