...

L'arrivée d'Hugues Malonne à la tête de l'Agence fédérale des médicaments et produits de santé (AFMPS) coïncide avec une période de grandes turbulences internationales, d'évolutions européennes majeures et d'ambition nationale. Pas le temps de s'acclimater en douceur, une série de dossiers se bousculent déjà sur son bureau. Très prosaïquement, à l'AFMPS dont il est aujourd'hui l'administrateur général, il porte encore les deux casquettes de son poste précédent, à savoir directeur général " pré- " et " post-autorisation ", en attendant les nominations de deux nouveaux directeurs. Ce docteur en pharmacie, formé à l'ULB, connaît particulièrement bien ces domaines dont il s'est occupé à la fois dans l'industrie pharmaceutique et à l'AFMPS qu'il a rejoint en 2017, après un détour par la Chine et la Suisse. Ajoutons à ce tableau, qu'il continue à enseigner à l'ULB et à l'université de Namur, principalement dans le cadre des aspects réglementaires, du développement, de l'innovation et du financement des soins de santé. Aujourd'hui, ses premiers pas en tant qu'administrateur général de l'AFMPS l'emmènent dans les coulisses de la préparation de la présidence belge du Conseil de l'Union européenne qui débutera le 1er janvier 2024. Un des axes d'action du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke concerne la nouvelle législation pharmaceutique européenne. "C'est un projet très vaste et ambitieux", reconnaît-il, "une directive et un règlement vont venir changer drastiquement la législation actuelle sur les médicaments. Dans le cadre de la présidence tournante de l'UE, mes collègues espagnols ouvrent les débats avec une première discussion sur l'évaluation d'impact qui accompagne les propositions de la Commission. Entre janvier et juin 2024, la Belgique va mener les débats au niveau du Conseil.""Évidemment, la présidence belge ne vise pas uniquement la législation pharmaceutique , le ministre va suivre trois grands axes: 'Europe that care, prepare and protect'. Une des priorités du ministre de la Santé est d'adresser la problématique des indisponibilités en poussant l'idée de ce qu'il a appelé un 'Critical medicines act'." Cette loi poursuit un triple objectif: inverser la tendance négative générale à la baisse de la production de médicaments hors brevet en Europe, diversifier nos chaînes d'approvisionnement pharmaceutiques et garantir un certain degré 'd'autonomie stratégique' pour certains médicaments critiques. Selon le ministre Vandenbroucke, il n'existe pas de solution miracle pour résoudre les problèmes d'approvisionnement de l'Europe. La loi sur les médicaments critiques doit donc être considérée comme une boîte à outils dotée de différents instruments. "Il s'agira notamment d'anticiper les éventuelles pénuries. Là, l'HERA (Health Emergency Preparedness and Response) qui a pour mission de prévenir, détecter et intervenir rapidement en cas d'urgence sanitaire, a un rôle très important à jouer pour prendre des mesures au sein de la bulle européenne, mais aussi pour en sortir et s'adresser à des partenariats globaux, l'Asie, les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud... Voilà pourquoi il faut une boîte à outils très large qui nous permette de solutionner les problèmes de la meilleure façon possible."Le Pharmacien: Envisage-t-on la création de stock d'urgence? Hugues Malonne: Aujourd'hui, une série de pays font des stocks d'urgence. Pour moi, c'est une mauvaise chose parce que ça va amplifier voire créer des indisponibilités. La nouvelle législation européenne pourrait prévoir un stock au niveau du titulaire d'enregistrement, couvrant soit la durée d'une pénurie (à modéliser), soit la durée de la pénurie avant qu'il n'ait la capacité d'augmenter sa production. Cela permettrait d'avoir des stocks qui roulent, sans risque qu'ils ne périment. C'est ce qui coûtera le moins cher à tout le monde (Europe, États membres, titulaires d'enregistrement). Et ceci, en lien avec une liste de médicaments critiques? Oui. Je copréside la Taskforce, lancée par l'HMA (Heads of Medicines Agencies) et l'EMA (European Medicines Agency), qui supervise toutes les initiatives sur les indisponibilités en Europe. A côté, on a aussi mis sur pied le MSSG (Executive Steering Group on Shortages and Safety of Medicinal Products) pour solutionner les problèmes immédiatement. Via ces structures, on a créé un mécanisme de solidarité européen. C'est très technique mais lorsqu'une demande est envoyée au secrétariat du MSSG, il a 48 heures pour dire si elle est valide ou pas. Ensuite, j'ai négocié, et ça a été très difficile, deux périodes de cinq jours: une première pour qu'un pays puisse dire rapidement s'il a un stock disponible pour en aider un autre, et une seconde pour donner le temps aux autres de se renseigner. Je voulais absolument éviter qu'on réponde directement " non " par facilité ou manque de temps. Ainsi, au bout de 10 jours, on sait si on a une solution ou pas. Grâce à cela, on a un mécanisme immédiat d'échange entre nos stocks qui peuvent se retrouver partout: soit chez le titulaire d'enregistrement, soit chez un grossiste, soit dans un stock national géré par les autorités. Deuxième chose: on doit cibler nos mesures sur les indisponibilités. En Belgique, 0,1% des indisponibilités est considéré comme critique, c'est-à-dire pour lequel il n'y pas d'alternative avec la même molécule ou un autre médicament similaire. Dans des cas particuliers comme par exemple les antibiotiques, prendre une autre molécule, souvent en deuxième ligne, c'est une mauvaise alternative parce qu'elle répond moins bien au besoin et qu'elle participe à la résistance anti-microbienne. Au niveau européen, en collaboration avec le MSSG, l'EMA et l'HMA, on boucle une liste de 500-600 molécules critiques fin novembre. Cela représente un peu moins de 10% de l'arsenal thérapeutique. On cible les anti-infectieux, les vaccins et certains médicaments utilisés en oncologie et dans les unités de soins intensifs. Les produits sur cette liste feront l'objet d'une analyse poussée pour assurer leur disponibilité. Idéalement, j'aimerais proposer des solutions pour tout, mais c'est impossible à mettre en place et très coûteux. La législation va aussi demander aux entreprises d'avoir un 'shortage prevention plan' et elle permettra de requérir un 'shortage mitigation plan' pour pallier aux accidents. Il y a de nombreuses possibilités et les solutions seront envisagées au cas par cas. Après la pandémie, on a parlé de rapatrier certaines productions de principe actif en Europe? La nouvelle législation l'envisage-t-elle? Elle pourrait le faire mais de manière indirecte. Par exemple, dans les dossiers de demande d'autorisation de mise sur le marché, les producteurs doivent expliquer comment ils font leur production. On pourra alors voir s'il y a un impact sur l'écologie. Cela pourrait être un critère, pas de refus, mais de demande de mesures complémentaires. A côté de cela, rien n'empêche lorsqu'on lance un marché public pour un médicament hospitalier, par exemple, d'insérer l'empreinte carbone du produit dans les critères d'attribution du marché. De cette manière vous allez favoriser le respect des normes environnementales européennes et, accessoirement, une production sur le territoire européen. Idéalement, on pourrait imaginer des critères d'attribution européens, à tout le moins nationaux au niveau des États membres, qui donneraient un appétit aux industriels pour localiser une partie de leur production dans l'UE. Cependant, ce n'est pas parce qu'on produirait tout en Europe que tout irait mieux dans le meilleur des mondes. Pour certains produit critiques, ça sera utile mais ce n'est pas la panacée. Il faut comprendre qu'on ne va pas tout rapatrier, on continuera à être en partenariat avec l'Inde et la Chine. J'en conviens, d'un point de vue géopolitique, le monde change, nos alliés objectifs, traditionnels, ne sont plus aussi forts qu'auparavant. On retourne dans un monde multipolaire. Or, malheureusement, la chaîne de production pharmaceutique est faite pour le monde globalisé idéal de la fin des années 90, où tout le monde s'entraidait. La rationalisation qui a été faite à cette époque avait du sens, elle pose problème aujourd'hui. L'aspect durable, One Health, est-il intégré dans la nouvelle législation? Oui, il y a tout un aspect environnemental: l'impact des nouveaux médicaments va être scruté de manière beaucoup plus importante qu'auparavant. Quand on parle One Health, je pense d'abord à la résistance aux agents antimicrobiens. Et là, je voudrais tordre le cou à un canard: j'entends dire qu'on ne doit plus utiliser les antibiotiques. Non! On en a besoin et on doit s'assurer de toujours les avoir sur notre marché. C'est une de mes plus grosses inquiétudes et c'est là où on a dû agir le plus souvent, quand des producteurs veulent arrêter une production qui n'est plus rentable pour eux. A plusieurs reprises, l'Agence belge a dû, gentiment mais fermement, 'tordre le bras' au titulaire pour qu'il cède son dossier à d'autres. Or, ce n'est pas notre rôle, on a dû le faire parce qu'il n'y avait pas d'autres solutions. Dans le cadre du One Health et de l'AMR, un arsenal de choses devra être mis en place. C'est d'ailleurs pour ça que ça n'avance pas aussi vite qu'on le veut. Les solutions simples n'existent pas. Il faut être très créatif or, ce n'est pas le fort du législateur et l'industrie pharmaceutique qui par essence est une industrie innovante demeure ultra conservatrice. Quel est l'agenda pour cette nouvelle législation? On a vraiment une fenêtre d'opportunité au niveau de la présidence belge. Si nous parvenons à obtenir un accord sur les balises d'un futur 'Critical Medicines Act' et engranger des progrès substantiels sur les chapitres les plus importants des propositions actuellement sur la table de négociation, alors la prochaine Commission européenne disposera d'un mandat clair et nos collègues hongrois (qui prennent la présidence en juillet 2024, ndlr) pourront poursuivre les négociations en vue d'une approche générale, la discussion avec le Parlement pourra s'enclencher et on peut espérer la finaliser avec la nouvelle Commission, le nouveau Parlement européen. Le plus mauvais scénario serait qu'on ne parvienne pas à lancer les choses maintenant, que nos collègues hongrois aient des difficultés et, très vite, cette législation serait mise dans un coin et cela nous demanderait des trésors d'énergie pour relancer le processus avec le nouveau Parlement et la nouvelle Commission. C'est maintenant qu'on peut lancer les choses. Ça donne une immense responsabilité à la Belgique! Comment l'Agence européenne du médicament évolue-t-elle? Hugues Malonne: L'EMA a obtenu une extension de son mandat avec certaines compétences, notamment concernant les dispositifs médicaux, dans l'objectif de se préparer à une nouvelle pandémie. Ainsi, à côté du MSSG, il y a le MDSSG (groupe de pilotage sur les pénuries de dispositifs médicaux). Cependant, "it's a long road!": on a globalement un peu plus de 5000 médicaments sur le marché et des millions de dispositifs! Pour le régulateur, il est très difficile de prévoir quels DM sont interchangeables ou pas, cela n'apparaît pas dans les dossiers. Il y a énormément de connaissances qu'on doit encore acquérir dans ce domaine. Dans la nouvelle législation, il y a une compression des délais d'autorisation des médicaments. Mais il y a des limites à la compression. Par exemple, ces dernières années -peut-être est-ce encore un effet délétère du covid-, l'EMA reçoit des dossiers qui ne sont pas complets et qui enraient la machine. Par ailleurs, compresser le temps d'évaluation, ça signifie qu'il faut des réserves de personnel "qui se tourne le pouce et qui attend le dossier qui va peut-être arriver". Ça demande des modifications structurelles et une meilleure mise à disposition du réseau. Beaucoup de gens oublient que l'EMA c'est un grand secrétariat extrêmement efficace. C'est une gare de triage mais les experts qui jugent les dossiers sont dans les États membres, ils ne sont pas à l'EMA. Par exemple, si la demande concerne un vaccin, il y a des chances que ce soit un expert belge qui la prenne en charge ; pour un anti cancéreux, la probabilité est élevée que ce soit plutôt un Allemand ou un Français. Dès lors, comment augmenter notre capacité? C'est en discussion au sein de l'EMA et de l'HMA. L'EMA doit se transformer mais c'est tous les États membres, toutes les agences, tout le réseau qui doivent se tourner vers le futur et s'y préparer.