...

" Mon arrière-grand-père Remi Baetslé a été le premier pharmacien de la famille. Il a fondé son officine à Gand en 1885, dans la Keizer Karelstraat. Deux de ses fils ont marché sur ses traces ; mon grand-père, Albert Baetslé, a ouvert une seconde adresse du côté de la gare Saint-Pierre, que mon père a reprise juste après la guerre ", relate Thierry Baetslé. " C'était l'époque où le pharmacien était encore un notable. Il avait dans ses rayons une dizaine de spécialités comme l'aspirine, mais pour le reste, il s'occupait surtout de préparer des magistrales. Aujourd'hui, les choses ont bien changé. Notre arsenal de médicaments s'est développé et doublé d'une offre de cosmétiques, tandis que la part des magistrales s'est réduite comme peau de chagrin... mais nous continuons tout de même à préparer le sirop contre la toux de mon grand-père ! " Bien qu'il ait lui aussi grandi dans l'ambiance de l'officine, Thierry Baetslé a d'abord entamé des études de médecine. " Le décès inattendu de mon père m'a décidé à changer de cap. Lorsque j'ai décroché mon diplôme, en 1988, j'ai repris la pharmacie familiale à Gand. " Il n'a toutefois jamais complètement oublié ses premières amours. " J'ai toujours continué à lire des ouvrages médicaux, ce qui m'est bien utile depuis que le pharmacien est un peu devenu le bras droit du médecin. Cette évolution n'est d'ailleurs pas pour me déplaire et je donne volontiers des explications supplémentaires à mes clients. " S'il nous reçoit à Mariakerke plutôt qu'à Gand, c'est avant tout à cause de son épouse, originaire de la côte. " Enfant, j'y venais souvent et toujours avec plaisir. J'ai finalement pu reprendre une officine ici et céder celle de Gand. "Sa fille Camille travaille à ses côtés une partie du temps. " Je fais actuellement beaucoup de remplacements pour acquérir de l'expérience, mais j'ai racheté ma part dans l'officine. Depuis cet été, j'y suis deux jours par semaine, l'idée étant à terme que je la reprenne. " " Je ne l'ai jamais poussée à se lancer dans le métier... mais le fait qu'elle envisage de donner à ses futurs enfants un double nom de famille dans l'espoir qu'il y ait un jour une sixième génération de pharmaciens Baetslé en dit long ", commente son papa non sans fierté. " Et moi, je suis fière d'être la première femme à reprendre le flambeau ", enchaîne Camille. " La formation et la profession se sont beaucoup féminisées ces dernières années, mais pour moi, c'était un choix qui coulait de source. Chemin faisant, j'ai senti que c'était vraiment ma vocation. Le développement de nouveaux médicaments - le thème de mon travail de fin d'études - est un domaine passionnant, mais il y manque le contact avec les patients. Or c'est justement l'un des aspects les plus sympas du métier. " Ce n'est pas son père qui la contredira : le pharmacien continue à ses yeux à jouer un rôle essentiel de conseiller de première ligne, notamment de par son accessibilité. " Vous ne nous verrez jamais en tablier : cela crée une distance que nous voulons justement éviter. N'oubliez pas qu'il est parfois plus facile, pour les patients, de se confier à nous que d'aller voir leur médecin de famille... " Ces derniers mois ont évidemment mis tout particulièrement en avant l'importance de cette accessibilité et de cette mission de conseil. " Au début de la pandémie, nous voyions vraiment passer des patients complètement paniqués ", se souvient Thierry Baetslé. " Nous avons régulièrement dû rectifier des conseils et directives qui manquaient de clarté et dispenser les informations correctes, ce qui nous a donné une énorme charge de travail supplémentaire. " La distribution des masques et le fait que les patients ne pouvaient pas immédiatement se rendre chez leur médecin a également accru la fréquentation des officines. " Nous nous sommes sentis (et nous sentons parfois encore) négligés voire abandonnés, alors même que la crise a clairement montré combien nous étions un maillon important dans la chaîne de la santé ", commente Thierry Baetslé. L'une des conséquences est qu'il dispose encore d'un sérieux stock de masques. " Les gens ont commencé par s'adresser à nous. Ensuite, les autorités ont annoncé qu'elles s'occuperaient de les distribuer, puis qu'ils seraient vendus dans les supermarchés... et finalement, ce serait à nous de les fournir gratuitement aux patients ? Vous parlez d'un bourbier. " Les mois écoulés ont toutefois aussi illustré combien l'empathie et la psychologie jouent un rôle important dans la gestion d'une officine, observent-ils. " Cet aspect social, le service au patient, l'écoute, l'empathie, ce sont vraiment des facettes du métier à ne pas sous-estimer. En même temps, c'est aussi ce qui le rend passionnant. Et puisque nous nous entêtons depuis cinq générations, c'est peut-être bien que nous avons ça dans les gènes... "