Le mésusage de prégabaline est en forte hausse en Belgique

"La prégabaline (Lyrica® et ses équivalents génériques) fait partie, comme la gabapentine (Neurontin®), de la famille des gabapentinoïdes. Elle est utilisée dans le traitement des douleurs neuropathiques, de l'épilepsie et des troubles anxieux généralisés. Il est aussi parfois prescrit hors-indication (off-label) pour le traitement de douleurs lombaires chroniques ou des douleurs radiculaires". C'est ce qu'explique Eurotox, l'Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles, qui fait le point sur ce produit et son usage détourné, ainsi que sur les précautions à prendre lors de sa prescription. L'article a été rédigé en collaboration avec Lou Richelle, assistante de recherche au département de médecine générale de l'ULB. "L'usage médical de prégabaline est en augmentation dans notre pays, selon les données de l'Inami relatives aux prescriptions remboursées délivrées par les pharmacies publiques. En effet, le nombre de personnes bénéficiant chaque année d'au moins une prescription remboursée de prégabaline a considérablement augmenté, en particulier au cours des 5 dernières années (23.485 en 2014 à 140.483 en 2020), ce qui témoigne d'un recours grandissant à ce médicament par les prescripteurs et les patients, phénomène probablement multifactoriel (extension des indications, arrivée des formes génériques, meilleure connaissance de l'intérêt thérapeutique de la molécule, accroissement du mésusage). Ces données ne permettent toutefois pas d'estimer précisément l'ampleur du mésusage, ni son évolution au cours du temps", précisent les auteurs. "La posologie de la molécule varie de 150 à 600 mg/j en 2 ou 3 prises et selon l'indication. Elle est très peu métabolisée au niveau hépatique, il y a donc très peu d'interactions médicamenteuses. Parmi ses effets secondaires, une prise de poids, de l'ataxie, de la somnolence, des douleurs articulaires, des troubles de la vision, de l'érection et du rythme cardiaque...", avertissent Lou Richelle (DMG-ULB) et Michaël Hogge (Eurotox) sur la fiche de recommandations pour les MG. Quel mésusage?"Un usage détourné de ce médicament est documenté en Europe depuis 2009, mais différents signalements récents suggèrent une augmentation importante du mésusage de ce produit en Belgique, surtout à Bruxelles et en Wallonie. Ce mésusage s'explique par ses propriétés euphorisantes, relaxantes et désinhibantes,... Pourtant un usage excessif peut entraîner une dépendance mais aussi une augmentation des idées suicidaires, des passages à l'acte, et des comportement agressifs", ajoutent-ils. "En Belgique, les premières observations d'usage détourné ont été faites en 2016-2017 par des associations travaillant avec le public migrant. Des signalements ont ensuite été adressés en 2019 au système d'identification des tendances émergentes d'Eurotox par plusieurs maisons d'accueil socio-sanitaires ainsi que par un médecin travaillant en milieu carcéral. L'usage détourné impliquait alors des personnes ayant un parcours migratoire. Depuis 2020, différents signalements évoquent une augmentation du mésusage de ce produit dans notre pays, qui semble s'étendre au-delà de la niche initiale de consommateurs (public migrant). Un trafic de rue semble aussi s'être développé. D'après l'analyse des données Pharmanet effectuée par l'asbl Transit, seulement 3% des patients bruxellois ayant reçu une prescription de prégabaline en 2020 auraient bénéficié d'une prescription journalière moyenne supérieure à 600mg", indique Eurotox. On estime cependant que le mésusage réel serait sous-estimé et qu'une partie des prescriptions alimentent le marché noir, à la faveur d'un shopping médical insuffisamment contrôlé. Dès lors, qu'elle est l'ampleur du mésusage de prégabaline en Belgique francophone? Pour le savoir, Eurotox a réalisé en juin 2021 une enquête auprès des services spécialisés en assuétudes et d'autres structures (abris de nuit, centre d'accueil de jour, services d'aide aux migrant·es). Résultats? Le mésusage de prégabaline semble répandu et concerne une grande majorité des services participants (59 au total). Près d'un tiers (30,5%) ont déclaré qu'il concernerait plus de 25% des bénéficiaires. Le problème est plus important en Région bruxelloise qu'en Wallonie. Près de la moitié des centres (47,2%) estiment que ce mésusage a augmenté depuis la crise sanitaire. Enfin, 8 centres rapportent également un mésusage de gabapentine (Neurontin®). Cette consommation concerne surtout des hommes jeunes (18-44 ans), issus de minorités ethniques ou confrontés à la marginalité (sans-abris, usagers d'opiacés, (ex)détenus). "Le mésusage de prégabaline n'est donc plus limité aux populations migrantes, comme l'évoquaient les premiers signalements. Bien qu'il survienne surtout en association avec l'usage d'autres produits, il ne semble pas limité aux seuls usagers d'opiacés. (...) Ce produit serait le plus souvent consommé pour ses propriétés désinhibantes, anxiolytiques ou sédatives. Ils ou elles se le procurent le plus souvent sur le marché noir, où il est perçu comme grandement disponible. Les gélules se vendent généralement au prix de 1 euro l'unité", souligne Eurotox qui édite une fiche de recommandations à l'attention des médecins généralistes.