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Pourquoi voit-on de plus en plus d'usagers de drogues âgés? Quels sont leurs problèmes? Quels sont les défis relatifs au vieillissement des personnes âgées consommant des drogues légales et illégales?... L'Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles, Eurotox, a publié le 25 mai dernier un article très complet sur cette épidémie encore peu visible. Depuis les années 2000, on observe dans le monde une augmentation du nombre de patients âgés entrant en traitement pour une consommation problématique de drogues illégales. La proportion de patients de plus de 40 ans en traitement pour un usage problématique d'opioïdes est par exemple passée d'1/5 en 2006 à 1/3 en 2013. En Belgique, près d'1/4 a plus de 50 ans. Quant à la consommation de cannabis, elle est en augmentation chez les 55-64 ans de plusieurs pays d'Europe occidentale. La prévalence de la consommation sur la vie des drogues traditionnelles (cannabis, héroïne, LSD...) est plus élevée parmi les usagers âgés par rapport aux plus jeunes, à l'inverse des drogues plus récentes (comme la MDMA). "Cette situation suscite des inquiétudes quant à la capacité actuelle des structures spécialisées et non-spécialisées à absorber l'augmentation du nombre de personnes âgées usagères de drogues et à répondre à leurs besoins en santé physique et mentale parfois complexes (problèmes de santé mentale, douleurs chroniques, polyconsommation, comorbidités, etc.) au cours des prochaines décennies", commente Eurotox. Pourquoi?Plusieurs facteurs sont mis en avant pour expliquer cette augmentation:-L'effet de cohorte: les expériences sociales et culturelles communes de la génération du babyboom (1946-64) qui a grandi dans un moment où l'usage des drogues illicites atteignaient des niveaux relativement élevés et qui a davantage expérimenté des drogues au cours de sa jeunesse que les générations précédentes."Les opioïdes (principalement l'héroïne), la cocaïne et le cannabis sont les drogues les plus consommées par les usagers âgés, et la majorité d'entre eux consomment également de l'alcool. Cet effet de cohorte explique en partie une prévalence de l'usage plus importante au sein des personnes plus âgées dans nombres de pays occidentalisés. L'usage simple de cannabis (non problématique) est marqué par cet effet de cohorte, contribuant ainsi à une augmentation de la prévalence. Cette tendance est renforcée par la baisse des risques perçus liés à la consommation de cannabis et les évolutions sociétales favorables à sa légalisation depuis les années 2000".-Autre facteur: le vieillissement des usagers ayant connu un long parcours de consommation (problématique) et plusieurs tentatives de traitement. Toutefois, 35% des usagers âgés entrant en traitement en Europe le font pour la première fois. "L'initiation tardive aux drogues (ou la reprise d'une ancienne consommation) peut aussi expliquer cette augmentation, à mettre en lien avec l'évolution de la perception des risques liés à la consommation de drogues, l'augmentation de la disponibilité des drogues, aux changements dans l'acceptabilité sociale de l'usage et à la médication ou l'automédication pour lutter contre la douleur, l'anxiété ou encore les défis et maux liés à l'entrée en pension ou au vieillissement". "Un usage tardif peut aussi être associé à une prescription d'analgésiques, qui présentent des risques de mésusage si leur prise n'est pas correctement ou suffisamment encadrée. De plus, de nombreuses personnes âgées rapportent souffrir de douleurs qui ne sont pas traitées de manière suffisante, à cause d'autres substances qui ont accru leur tolérance aux analgésiques. L'allongement de l'espérance vie et le vieillissement de la population impliquent également que la proportion de patients âgés subissant des interventions chirurgicales et suivant des traitements médicamenteux augmente", notent les auteurs. Une épidémie invisible?"La recherche scientifique n'a pris que récemment conscience du problème de l'usage de substances psychoactives chez les personnes âgées. Ceci découle du fait que, du point de vue scientifique, épidémiologique et culturel, les personnes âgées et les personnes usagères de drogues sont souvent négligées voire oubliées. Et si les problématiques liées au "bien vieillir" sont reconnues, les défis relatifs au processus de vieillissement des personnes âgées consommant des drogues légales et illégales le sont beaucoup moins".Recommandations Eurotox clôt son analyse par une série de recommandations relatives à la prise en charge, à la formation du personnel soignant, à la prévention et à la détection, à la lutte contre la stigmatisation et à la recherche: "Les services de soins devront s'ajuster à ce changement, et plus spécifiquement à l'augmentation de la proportion de personnes âgées usagers de drogues (de longue durée ou sur le tard) en leur sein. Les services non-spécialisés et la première ligne de soins devront proposer une prise en charge intégrée, souple, holistique et adaptée à l'âge. Les services spécialisés en assuétudes devront quant à eux adapter leurs programmes, fonctionnement et organisation afin de prendre en compte les besoins complexes et spécifiques des usagers âgés. Les traitements de substitution aux opiacés, la gestion de la douleur et un recours plus important aux thérapies psychosociales (entretien motivationnel, thérapie cognitivo-comportementale) semblent particulièrement indiqués pour cette population". Notons quelques recommandations: -Recourir à des technologies d'assistance innovantes ou mettre à profit les technologies existantes pour assurer la coordination du traitement, le soutien et le suivi des personnes âgées qui font usage de drogues (télémédecine, téléphonie pour suivre le patient et ses proches);-Améliorer la communication entre les professionnels spécialisés en assuétudes et les soignants de 1ère ligne;-Intégrer des professionnels de la santé ayant des expériences dans le domaine des assuétudes au sein des services gériatriques; -Renforcer la formation du personnel soignant non-spécialisé (détection des usages et des dépendances, lutte contre la stigmatisation des usagers, orientation vers les services spécialisés);-Former les professionnels spécialisés en assuétudes à la prise en charge des personnes âgées et leurs besoins particuliers (perte de mobilité, deuil, isolement...);-Ajuster le type et le dosage des médicaments à la physiologie et pharmacocinétique des personnes âgées;-Surveiller et encadrer la prescription de benzodiazépines et d'opiacés aux personnes âgées (risques de surconsommation et d'usage problématique, INAMI, 2019);-Les adultes de 60+ ans devraient être systématiquement dépistés pour le mésusage d'alcool, de drogues et de médicaments psychotropes lors de leurs visites médicales;-Les professionnels de la santé sensibilisent aux effets néfastes de l'usage de drogues légales et illégales et des médicaments;-Le personnel soignant participe à identifier et réduire les obstacles dans l'accès aux traitements;-Créer ou améliorer les outils de détection et de diagnostic adaptés aux parcours et aux réalités des personnes âgées;-Veiller à ce que le dépistage soit mené de façon bienveillante et sans stigmatisation;-Revoir le vocabulaire et le langage employés dans les médias et les stéréotypes véhiculés;-Encourager les personnalités publiques à parler de leurs expériences personnelles; -Elargir la tranche d'âge de la population ciblée par les études épidémiologiques;-Améliorer l'évaluation et la surveillance de l'usage de médicaments soumis à prescription et en vente libre (réduire les prescriptions multiples, le nomadisme médical et les admissions aux services d'urgence); -Ou encore, soutenir et évaluer la mise en place de projets innovants afin de dégager des bonnes pratiques prévention, détection, réduction des risques et soins. Anticipation, prévention et non stigmatisation font donc partie des clés essentielles pour relever le defi que pose cette catégorie de la population à la santé publique.