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L'overdose liée aux opioïdes est la principale cause de décès chez les consommateurs de drogues en Europe (78% en 2019). Or, la naloxone, un puissant antagoniste des opioïdes, existe sous forme prête à l'emploi utilisable par tous. On estime que son administration précoce pourrait éviter 4 décès par surdose sur 5. Rappelons que la naloxone est efficace et agit rapidement. Le seul inconvénient potentiel est le risque de déclenchement de symptômes aigus de sevrage, en revanche, elle n'a pas d'effet pharmacologique chez les personnes qui n'ont pas pris d'opiacés. Enfin, la forme intranasale est facile à administrer, la délivrance est donc possible par la plupart, même sans formation médicale de base ou de secours. Depuis 1970, elle est utilisée en pratique clinique en Europe, le plus souvent par les services d'urgence. Dans les années 90, l'Italie a été l'un des premiers pays européens à retirer la naloxone de la liste des médicaments délivrés uniquement sur prescription et a mis en place des programmes de naloxone à emporter chez soi (THN, Take-Home Naloxone). Depuis lors, de nombreux pays ont suivi. Qu'en est-il 30 ans plus tard? Actuellement, plus de la moitié des pays européens ont un programme de THN (à différents stades de déploiement, régional à national) et, en 2020, 3 nouveaux pays ont emboîté le pas (Chypre, Tchéquie et Portugal). Mais toujours rien Belgique... Au rayon des barrières à son utilisation plus large: l'interdiction de faire une injection sans qualification médicale, l'obligation d'une prescription et le prix élevé du THN. D'où l'importance de partager les exemples qui fonctionnent et d'apprendre des expériences menées à travers l'Europe.(1) Début 2019, lors de la journée d'étude "Drugs in Brussels"(2), les intervenants regrettaient l'accès limité à la naloxone en Belgique où seule une forme injectable (Naloxon B.Braun, 0,4mg/ml) était disponible, sur prescription médicale et non remboursée. La situation a-t-elle évolué? "Malheureusement, non. Cela continue à être l'un de nos plaidoyers et il y a peu d'avancement", répond Stéphane Leclercq, directeur de Fedito. La Belgique doit composer avec deux difficultés: "D'une part, la forme en spray n'est pas disponible parce qu'aucune firme pharmaceutique n'a fait de demande de mise sur le marché chez nous. Nous avons contacté le laboratoire Mundipharma qui commercialise le Nyxoid® pour les convaincre de vendre leur produit en Belgique. Il y a aussi le Ventizolve® de DNE Pharma qui est en train de réfléchir pour le distribuer chez nous". La deuxième pierre d'achoppement est l'absence de Plan national de lutte contre les surdoses. "Les labos nous demandent s'il en existe un. C'est essentiel pour faciliter la diffusion de ce produit qui devrait être disponible dans toutes les casernes de pompiers, les voitures de police, chez les médecins généralistes..." "Pour le moment, on essaye d'avancer sur les deux fronts pour qu'une forme de naloxone intranasale soit prochainement disponible en Belgique et pour que notre pays dispose d'un Plan national de surdose. Avec le nouveau gouvernement, la nouvelle cellule politique générale drogue devrait se mettre en route au mois de janvier. Nous essayerons donc de remettre ce dossier sur la table. Pour le moment, toute la question de la délégation des actes médicaux et infirmiers est un peu délicate. En spray, il y a vraiment très peu de risque: il est rare de disposer d'une solution de ce type dans le domaine des assuétudes et il est très dommage que l'on n'arrive pas à la déployer en Belgique", se désole Stéphane Leclercq. La situation n'est pas encore comparable à celle des États-Unis et du Canada, mais l'Europe connaît aussi une augmentation de la consommation des antalgiques opioïdes dans le cadre de la prise en charge de la douleur avec, en parallèle, une augmentation du mésusage, des intoxications et des décès liés à ces médicaments. Ainsi, dans notre pays (chiffres Pharmanet), le nombre de Belges ayant reçu une prescription remboursée (hors pharmacies hospitalières) d'un opioïde antalgique a quasiment doublé entre 2005 et 2018 (573.104 patients à 1.114.750, soit environ 10% de la population), l'opioïde le plus prescrit étant le tramadol.(3) On sait aussi que le nombre d'overdoses mortelles est sous-estimé dans de nombreux pays dont le nôtre. Tout ceci explique pourquoi certains, dont Fedito, plaident pour une diffusion et une disponibilité de la naloxone la plus large possible.(4) Idéalement, trois publics devraient y avoir accès: les usagers et leur entourage, les services de police et les pompiers, et les service de secours. Or, en Belgique, "la naloxone n'est pas disponible de manière préventive, c'est-à-dire auprès des usagers à risque, des travailleurs sociaux en contact avec ceux-ci ou dans les comptoirs d'échange de matériel stérile. Il n'y a pas non plus de programme de distribution de naloxone par les pairs", regrettent Eurotox dans son 'Tableau de bord 2019'. Dès 2014, l'OMS a fait des recommandations pour diminuer le nombre de décès par opioïdes, en améliorant l'accès à la naloxone pour les personnes susceptibles d'assister à une overdose dans leur entourage. La France a, par exemple, fait le choix d'une mise à disposition générale de la naloxone (pas que pour les usagers de drogues), de façon à permettre un accès large pour les patients traités par opioïdes. Ainsi, les spécialités à base de naloxone peuvent être délivrées sans ordonnance dans toutes les pharmacies françaises.(5) Faciliter l'accès à cet antidote vise donc deux objectifs: sensibiliser les usagers d'opioïdes, licites ou illicites, au risque de surdosage, ce qui permettrait déjà de réduire la fréquence des overdoses, et ensuite, réduire la mortalité par overdose en permettant une administration précoce de naloxone avant l'arrivée des secours. L'occasion de sauver des milliers de vie chaque année dans le monde.